Tel que vu dans l’article 1 « Qu’est-ce que la Science-Fiction – Un genre difficile à définir », bien que difficile à cerner, la S-F ne s’impose pas moins comme un outil de réflexion sur notre présent.
Mais s’est-elle imposée comme telle dès ses origines ? Et d’où lui vient cette opiniâtreté philosophique ? Cette série d’articles propose de retracer l’histoire hétéroclite de la S-F pour mieux comprendre ses formes actuelles au travers de son histoire biscornue.
A commencer par ses premiers balbutiements en tant que genre, qui ont été marqués par de grands noms. En effet, si la science-fiction a longtemps peiné à obtenir ses lettres de noblesse, elle est pourtant bien née sous des auspices littéraires particulièrement favorables.
Des ramifications lointaines
N’en déplaise à ses détracteurs, la S-F est, de fait, dotée d’un illustre lignage. Aussi ancien que noble, ce dernier mêle deux structures de récit dont les œuvres font, aujourd’hui, partie des grands classiques de la littérature française.
Les voyages imaginaires, d’une part
Leurs caractéristiques proches de la S-F, outre l’inventivité imaginaire, sont : le décalage avec la réalité et la présence d’appareils de voyage plus ou moins rationnellement expliqués.
Dans ce cadre, il est possible de remonter jusqu’au 2ème siècle, avec les Histoires vraies de Lucien de Samosate proposant « cent faits merveilleux se présentant comme vrais. »
Mais c’est surtout la collection Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques de Charles Garnier, qui marque les esprits. Entre 1787 et 1789, cette dernière publie notamment Les Voyages de Gulliver de Swift et Micromégas ou voyage des habitants de l’étoile de Sirius de Voltaire.
Les utopies, d’autre part
La dimension critique et/ou instructive sur la situation actuelle des utopies les positionne bien en parents lointains de la S-F.
À noter parmi d’autres, Utopia de Thomas More en 1535, Rabelais et son Gargantua en 1534. Mais aussi La nouvelle Atlantide de Francis Bacon en 1627, L’an 2440 de Sébastien Mercier en 1711 ou encore Erehwhon de Samuel Butler en 1872.
Les récits de contrées imaginaires à visée réflexive sont donc anciens. Ils bénéficient, vers le milieu du 19ème siècle, d’une connaissance et même d’une reconnaissance certaine dans les cercles littéraires.
Et s’ils ne disent pas encore ce qu’est la Science-Fiction, ils ouvrent néanmoins bien la voie à ses précurseurs et à ses fondateurs.
Des précurseurs surprenants
Il n’est pas si surprenant que les précurseurs de la science-fiction soient issus de genres littéraires différents. Plus surprenante est la différence radicale de registre entre eux, même si elle illustre parfaitement la dimension hétéroclite de l’histoire de la S-F.
Mary Shelley (1797-1851) et les romans gothiques
Mary Shelley a développé une fibre science-fictionnelle très perceptible dans ses œuvres qualifiées de romans gothiques.
En premier lieu, bien sûr, on retrouve l’incontournable Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818 et réédité/revu en 1831), dont le statut de petit chouchou du cinéma d’horreur a dissimulé le fait que son intrigue ne comporte en réalité aucun élément fantastique.
Mais, Mary Shelley est également l’auteur d’un autre récit : The Last Man, dont l’intrigue se situe en 2073 dans un monde ravagé par une épidémie.
Elle introduit ainsi les thématiques majeures du savant dépassé par les conséquences de sa science et de l’anticipation (post-)apocalyptique.
Edgar Allan Poe (1809-1849) et le roman policier
Décrit par Jacques Baudou comme un « homme de lettre à multiples facettes » et le « génial inventeur du récit policier », le renommé Edgar Allan Poe a produit plusieurs récits d’orientation science-fictionnelle.
Il s’agit essentiellement de nouvelles : Molonta Tauta, Conversation d’Eiros avec Charmion, Colloque entre Monos et Una, Le canard au ballon, Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaal, Les souvenirs de M. Auguste Bedloe, Le Mille deuxième conte de Shéhérazade.
Et d’un roman : Aventures d’Arthur Gordon Pym.
« Capable de développer des histoires d’une implacable logique comme de faire preuve de la plus grande fantaisie, de l’imagination la plus folle », il apparaît qu’une influence mutuelle existait entre Jules Verne et lui.
Jules Verne a, en effet, écrit une suite à Aventures d’Arthur Gordon Pym, le Sphinx des glaces. Tandis que Poe fait allusion à un « cousin de Nantes » comme créateur de la technique aérostatique de Hans Pfaal.
Ces deux auteurs, explorateurs de nombreuses thématiques science-fictionnelles se posent pourtant plus comme des précurseurs de la science-fiction que comme ses véritables fondateurs.
Ce rôle revient, en effet, à deux autres auteurs de renommée, qui ont abordé encore plus largement l’éventail des thématiques du genre.
Des fondateurs monumentaux
Jules Verne d’abord (1828-1905)
Séduisant dès 1862 l’éditeur Hetzel avec son roman Cinq semaines en ballon, le jeune Jules Verne obtient un contrat. Puis, en 1866, une collection « Voyages extraordinaires », afin de déployer son entreprise encyclopédique. Cette dernière vise à transmettre aux lecteurs les connaissances de l’époque, par le biais de fictions aussi captivantes que possibles.
S’inscrivent dans cette veine : Voyage au Centre de la Terre, De la Terre à la Lune, Autour de la Lune, Vingt mille lieues sous les mers, Robur le Conquérant, Maître du monde…
Ces romans ouvrent de nombreuses thématiques S-F.
Au premier rang desquelles les machines littéraires. Souvent visionnaires sur l’usage mais pas nécessairement sur la technologie de l’époque, les « conjectures rationnelles verniennes » marquent les esprits.
Parmi d’autres, on peut citer : le sous-marin à énergie électrique de Nemo, l’hélicoptère sous les traits de l’Albatros de Robur, le prototype de fusée spatiale utilisé pour aller sur la Lune…
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H. G. Wells ensuite (1866-1946)
Fervent utilisateur de machines littéraires qui permettent d’assurer la plausibilité des intrigues et donc la « suspension d’incrédulité », H.G. Wells est un auteur prolifique.
En plus de contribuer largement à la vulgarisation scientifique, notamment concernant la notion d’évolution, il a, en quelque sorte, dressé le répertoire de la S-F.
Fin du monde, cataclysme ultime, conséquences sociales morales et philosophiques de la science, savant fou, invisibilité, invasion extraterrestre, voyage dans l’espace, contact avec une civilisation extra-terrestre, machines littéraires…
Ses œuvres emblématiques sont : La Machine à explorer le temps (1895), qu’on ne présente plus au cinéma de la Science-Fiction et des séries TV ; L’île du docteur Moreau (1896) ; L’homme invisible (1897) ; La guerre des mondes (1898) (sans Tom Cruise) ; Les Premiers hommes dans la Lune (1901)… Ainsi qu’une série de nouvelles : Quand le dormeur s’éveillera, Place aux géants, M. Barnstaple chez les homes-dieux, L’ile de l’Aepyornis, Un étrange phénomène, Dans l’abîme, L’œuf de cristal.
Illustrations de La Guerre des Mondes par Alvim Correa, 1906
Ce qu'il faut retenir
Ascendance littéraire de qualité, romans salués par la critique, nouvelles inventives…
Dès le début du 19ème siècle, la S-F est née fort honorablement et se trouve déjà marquée par des influences sociales et littéraires multiples !
Cependant, c’est essentiellement sous la forme d’une littérature populaire de magazines qu’elle va se démocratiser, loin des ors littéraires. Puisque le format feuilleton fait, en effet, horreur aux belles lettres.