Le lien entre écriture et réécriture que tisse Pierre Lemaitre dans ses conseils d’auteur est particulièrement intéressant à explorer. Aussi bien pour la Science-Fiction dotée d’atomes crochus avec le genre policier — depuis Edgar Allan Poe, qui est un des grands précurseurs de la S-F —, que pour la Fantasy, le Fantastique ou tout autre type de récit !
Tango et lepangolin.com remercient vivement les Artisans de la Fiction pour nous avoir suggéré cette excellente vidéo qui invite à prendre un recul bienvenu en matière d’écriture.
Jugés particulièrement utiles par les écrivains en herbe participant aux ateliers d’écriture des Artisans de la Fiction, voici les conseils de Pierre Lemaitre
Vidéo – 13 minutes
Comment vous êtes-vous formé à l’écriture ?
Pierre Lemaitre considère que la littérature a été son professeur.
S’il n’a pas suivi de cours ou d’ateliers d’écriture, en tant que formateur qui enseignait à des bibliothécaires, il a toutefois désossé pendant 20 ans des ouvrages. Un rôle qui lui a permis d’analyser en profondeur comment fonctionne un roman, une scène, un dialogue, un personnage, la stratégie narrative…
Au moment de « passer de l’autre côté de la table », quand il a souhaité écrire, il s’est ainsi retrouvé avec une boîte à outils bien étoffée.
Personnage ou intrigue, qui est au départ de l’écriture ?
Comme le personnage conduit la narration, on a l’impression qu’il est le plus important. Mais c’est en réalité un effet d’optique qui crée cette tendance à aller du côté du personnage au détriment de la trame.
Pierre Lemaitre souligne d’ailleurs que l’effet inverse se produit souvent dans le roman policier, où c’est la mécanique narrative qui est valorisée et où les personnages tendent à être sans affect (Agatha Christie, Sherlock Holmes).
Il convient ainsi de distinguer deux types de romans :
- ceux qui privilégient le personnage,
- ceux qui privilégient l’intrigue.
Dans les deux cas, ils sont déséquilibrés.
En effet, le personnage n’est pas le seul moteur de la narration. Il y a, de fait, un aller-retour permanent entre la construction narrative (intrigue) et la question de la stratégie des personnages. Pierre Lemaitre s’efforce pour sa part de construire les deux en parallèle afin d’entretenir efficacement cette relation dialectique de va-et-vient.
Comment créer un bon personnage ?
Il y a autant de manières de fabriquer un personnage que de personnages.
Ainsi :
- certains personnages arrivent tous ficelés, comme c’est le cas dans son dernier ouvrage où le personnage principal est un personnage secondaire d’un roman antérieur ;
- d’autres personnages peuvent s’inspirer de la réalité, comme lorsqu’il s’est inspiré de l’acteur Michel Simon pour créer M. Jules ;
- tandis que certains embryons naissent par la magie de l’écriture en elle-même, étoffés au fil de la rédaction à partir d’un besoin initial plus restreint, comme ce personnage de menteur qui a fini par phagocyter son intrigue…
D’après Pierre Lemaitre, une approche utile consiste à ne pas s’obnubiler sur une méthode de création de personnages. Il est plus intéressant de s’immerger dans le travail d’écriture afin de permettre au meilleur procédé de s’exprimer pour chaque personnage.
Réécrivez-vous beaucoup vos romans ?
Écrire c’est réécrire
Retraçant son parcours d’écriture, Pierre Lemaitre estime que sur 18 mois en tout pour produire un roman, il obtient la répartition suivante :
- environ 6 mois de documentation,
- et 2 bons mois pour taper le texte (une bonne vitesse moyenne),
- ce qui laisse 10 mois de réécriture.
Pour lui, l’écriture n’existe pas. Ce n’est que de la réécriture. Et c’est particulièrement rassurant.
L’écriture est en réalité ce phénomène cognitif et mental de jugement sur ce qu’on écrit qui mène à reprendre systématiquement et immédiatement ce qu’on vient d’écrire.
Qu’est-ce « qu’écrire bien » ?
Pierre Lemaitre estime qu’une de ses plus grandes « révolutions culturelles » a été de se défaire du fantasme d’écrire bien tout de suite.
Et ce après avoir été longtemps bloqué par l’impossibilité d’écrire une deuxième phrase si la première n’était pas correctement cadencée. Un processus épuisant si l’on considère que si ce n’est pas la troisième phrase qui remettra tout en cause, la quatrième s’en chargera invariablement.
Si une chose telle « qu’écrire bien » doit exister, elle arrivera bien plus tard dans la vie d’un écrivain. À la question « Quel est votre style ? », Simenon répondait de façon aussi cryptique que révélatrice : « Il pleut ».
Pierre Lemaitre s’efforce ainsi de faire très bien les choses très simples.
Il considère la première écriture comme narcissique, égotique, pleine d’effets de manche… L’auteur passe ici au premier plan ; or un roman ce n’est pas ça.
L’écriture c’est de la réécriture.
Pierre Lemaitre
Quel est l’objectif de la réécriture ?
Aider le lecteur
C’est peut-être un peu arrogant et/ou bête à souligner, mais le lecteur est nécessairement limité par sa capacité à retenir en moyenne sept éléments, plus ou moins deux (le marketing et particulièrement le marketing digital ne contrediront pas ce point).
Par conséquent, le lecteur est très vite surchargé d’informations quand il se plonge dans un récit.
Le travail de l’écrivain est alors de lui simplifier la tâche pour assurer la meilleure compréhension possible des enjeux et des personnages.
En fluidifiant la lecture
Pierre Lemaitre a ainsi constaté que presque à chaque fois qu’il rencontre un problème, la meilleure solution est souvent la plus simple. Et que, de toute façon, si une solution envisagée n’est pas la bonne, on finit toujours par s’en rendre compte et venir à la bonne.
De même, si en tant qu’écrivain on décèle une difficulté, que l’on sent qu’il y a quelque part un nœud, c’est vraisemblablement qu’il y a effectivement un problème pour le lecteur (de compréhension, de suivi, de fluidité, d’aisance, de limpidité).
Une astuce complémentaire dans une telle situation est également de s’interroger sur le style de roman que l’on écrit.
Souvent, la réponse réside dans la convention narrative attachée au genre. Pour son style de romans, dit d’aventure, Pierre Lemaitre sait ainsi qu’il doit absolument simplifier le trajet du lecteur, le placer dans un « couloir », pour qu’il ait une perception claire de ce qui se passe, avec qui, comment, quand et où.
Un mot sur « Cadres noirs » ?
Dans ce roman, Pierre Lemaitre a rencontré un problème de structure.
En effet, le personnage principal, Alain Delambre, raconte à la première personne du singulier (la 3e est réservée à César). Or, survient un moment où l’auteur a besoin de dissimuler des éléments au lecteur.
Mais comment faire sans rompre le contrat narratif de ce récit à la première personne ?
Après avoir essayé de nombreuses solutions, c’est celle d’un changement de personnage qui s’est avérée payante. C’est certes un trucage, mais qui fonctionne dans son contexte.
Enfin, en mot de clôture, Pierre Lemaitre invite tout écrivain en herbe à ne pas rester hanté par la terrible question de fond « qu’est-ce que je veux dire ? »
Rejoignant l’avis de Scott Fitzgerald, il considère « qu’un romancier est quelqu’un qui a deux ou trois trucs à dire et il l’exploite sur tous ses romans ». S’il a, pour sa part, deux trucs à dire, il estime que Modiano en a quatre et Jean Echenoz trois.
Ce qu'il faut retenir
Les conseils d’auteur de Pierre Lemaitre invitent à comprendre les mécaniques d’écriture pour mieux se libérer de préjugés pénalisants. Ainsi, rappelez-vous que :
- Lire et pratiquer l’analyse littéraire est un excellent professeur d’écriture
- L’auteur doit équilibrer la relation entre intrigue et personnages
- Il y a autant de manières de fabriquer un personnage que de personnages
- L’écriture, c’est de la réécriture
- Pour « bien écrire », il faut se défaire du fantasme d’écrire bien tout de suite
- Si quelque chose vous gêne, c’est probablement qu’il y a un hic pour la bonne compréhension par le lecteur
- La meilleure solution est souvent la plus simple
- Il est improductif de rester hanté par la question « qu’est-ce que je veux dire ? »