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Qu’est-ce que la Science-Fiction ? – Article 4 – Une histoire hétéroclite : Le tournant de la Seconde Guerre Mondiale

La Science-Fiction a été marquée par une indéniable légèreté au cours de la première moitié du 20ème siècle. Mais, la Seconde Guerre mondiale et son lot de pessimisme la rappelle brutalement à son rôle de miroir des sociétés. Le genre se refaçonne alors progressivement sous l’influence des nouvelles attentes de ses lecteurs et de ses auteurs, tels Philip K. Dick.

La popularité de la Science-Fiction est croissante au cours du 20ème siècle. L’Article 3 de la saga « Qu’est-ce que la Science-Fiction ? Une histoire hétéroclite – L’influence américaine » l’a démontré. Née à la fin du 19ème siècle sous les plumes de Jules Verne et H.G. Wells, la S-F profite, en effet, de la large diffusion des magazines et des revues.

Une dimension populaire qui n’a pas un impact anodin sur l’évolution historique de la S-F.
C’est précisément elle qui incite ce genre disparate – par ailleurs peu considéré des belles lettres – à se poser la question de ce qu’il est et de ce qu’il apporte à ses lecteurs.

Et ce d’autant plus quand il est confronté aux horreurs de l’un des plus grands bouleversements du siècle. Dans les décombres de la Seconde Guerre mondiale, que doit désormais apporter la S-F aux sociétés américaines, britanniques et françaises qui en sont devenues si friandes ?

L’apparition du pessimisme en Science-Fiction

  • Un changement de paradigme

La Seconde Guerre Mondiale marque, de fait, une double rupture pour la science-fiction. Thématique, d’une part, et évolutive, d’autre part.

Suite aux horreurs de la Shoah, des tranchées et des bombes atomiques, la société dans son ensemble modifie notablement sa perception de la science et de la civilisation.
Face à la noirceur de la réalité, les certitudes sont naturellement ébranlées. Qu’il s’agisse de l’association traditionnelle entre science et progrès, ou bien de l’opposition entre civilisation et barbarisme, les lignes se brouillent.

Cette désillusion vis-à-vis de la science rejaillit tout logiquement sur les œuvres des écrivains de science-fiction. Ainsi, en réaction à la Seconde Guerre mondiale et à une science désormais dissociée de la notion positive de progrès, le genre penche désormais vers un réalisme sombre.

  • 50 nuances de gris par Philip K. Dick

C’est tout particulièrement Philip K. Dick qui s’affirme comme le théoricien du pessimisme en S-F. À tel point qu’il est même possible de distinguer un avant et après K. Dick.

Parmi ses œuvres les plus connues et qui ont contribué à en faire un des auteurs de S-F les plus adaptés au cinéma, on peut ainsi citer : Blade Runner, Ubik, Le maître du haut château, Total Recall ou les Mémoires programmées, ou encore la trilogie divine avec Siva, L’invasion divine et La transmigration de Timothy Archer.
Et bien d’autres étant donné la production prolifique et l’imagination débordante de l’auteur.

Entre anticipation, réflexion philosophie et questionnements éthiques, les œuvres de Philip K. Dick incarnent résolument cette S-F en prise avec un présent sombre, inquiétant et désenchanté.

Se préoccupant de l’avenir de la société humaine, la SF est finalement le théâtre des soubresauts consécutifs à la perte de confiance dans la science et dans le progrès scientifique qu’on observe aujourd’hui de par le monde, la perte de cette foi que nous inspirait naguère l’idée même de progrès et de lendemains qui chantent.

En reflétant cette sensation de catastrophe imminente, l’écrivain de science-fiction ne fait qu’adopter la démarche de tout auteur responsable.

Quelques exemples de romans et nouvelles de Philip K. Dick adaptés au cinéma

La dynamique éditoriale des années 50

  • On ne change pas une recette qui marche

Si les thématiques évoluent bel et bien, les formats s’adaptent plus lentement aux transformations sociales.
Ainsi, loin d’une rupture brutale, de nouvelles revues font leur apparition dans les années 50. Même si elles adoptent très souvent, non plus le format journalistique de magazine traditionnel dit « pulp », mais le format « digest », plus compact.

Aux États-Unis, qui donnent encore le ton, Astounding S-F de John W. Campbell se retrouve ainsi dépassée par deux concurrents notables :

  • The Magazine of Fantasy and Science-Fiction, en 1949, qui est doté d’une ambition plus littéraire. À noter que son intitulé démontre sans complexes le mélange des genres de l’époque entre S-F et Fantasy.
  • Le magazine Galaxy, en 1950, qui est lui plus orienté humour et satire. Il publie des auteurs tels que Philip K. Dick, Poul Anderson (La Patrouille du temps, La Hanse galactique) et Daniel Keyes (Des Fleurs pour Algernon).

Couvertures des magazines britanniques Galaxy et The Magazine of Fantasy and Science fiction

En Grande-Bretagne, Tales of Wonder ayant cessé de paraître en 1942, c’est le magazine New Worlds qui relance la S-F.
Y sont publiés des auteurs restés dans les esprits, comme E.C. Tubb, Kenneth Bulmer, John Brunner, Brian Aldiss (Le cycle d’Helliconia), J. G. Ballard (La trilogie de béton), John Wyndham, John Christopher et l’incontournable Arthur C. Clarke (et ses explorations spatiales).

En France, l’éditeur Opta (magazine Fiction) atteint par ailleurs une taille critique. Son rachat de Galaxie (traduction du magazine Galaxy), ainsi que la création de Galaxie-bis et du Club du livre d’anticipation (collection éditée de 1965 à 1987) lui permettent de se positionner en n°1.

À noter également en France que, de 1935 à 1987, la collection du Club du livre d’anticipation traduit et publie des œuvres et des auteurs aussi variés que : le cycle de Fondation d’Isaac Asimov, le cycle des Ā  d’A. E. van Vogt ou les Loups des étoiles d’Edmond Hamilton.

Wikipédia donne une très bonne idée de la liste complète de cette collection et de sa diversité.

Couvertures des magazines New Worlds (britannique), Galaxie et Galaxie Bis (français)

  • Un format concurrentiel d’édition (sauvage) fait son apparition !

Toutefois, les années 50 finissent par marquer l’émergence de formats d’édition concurrentiels des revues. Avec d’une part, les anthologies originales (Orbit, Universe…), qui prennent plus ou moins le relais des formats revues.

Et  d’autre part, le livre de poche ou paperback, comme disent les anglophones.
D’un format plus compact et d’une qualité d’impression plus faible (couverture collée et non reliée), ce dernier est plus maniable et moins cher. Il rend souvent abordable des œuvres ayant connu un fort succès sous leurs formats d’édition originaux.

Le paperback est d’ailleurs, au Royaume-Uni, le support de prédilection pour les œuvres d’auteurs comme John Russel Fearn, connu également sous les pseudos de Vargo Statten et Volsted Gridban (attention liste non exhaustive).

En France, ces nouveaux formats font la part belle aux traductions de Boris Vian – cofondateur du Club des savanturiers avec Raymond Queneau – et contribuent à diffuser largement la science-fiction.
Cette initiative d’auteurs est d’ailleurs complétée par la création de collections dédiées chez les grands éditeurs. Le rayon fantastique pour Gallimard (1951), Anticipation pour Fleuve Noir (1951), Présence du futur chez Denoël (1954)…

Enfin, un nouveau prix Jules Verne consacre une école française de la S-F marquée par des auteurs comme le préhistorien Francis Carsac épris d’exactitude historique (Les Robinsons du cosmos), le très prolifique nouvelliste Jacques Sternberg, l’influent Gérard Klein dit Gilles D’Argyre (Les Seigneurs de la guerre), l’illustrateur (mais pas que) Philippe Curval, Kurt Steiner (doté d’une pléthore d’autres alias), ou encore Stefan Wul, B. R. Bruss ou Daniel Drode…

Challenge commentaires : 
Si certains alias d’écrivain.e.s ont retenu votre attention (comme les consonances élégantes de Gilles D’Argyre), n’hésitez pas à en lister quelques-uns dans les commentaires !

L’imagination fertile de certains s’est en effet étendue à la définition de pas moins d’une petite dizaine de noms d’auteurs !

Ce qu'il faut retenir

Populaire, la Science-Fiction n’en est pas moins un outil de réflexion sur le présent des sociétés.

Au tournant de la Seconde Guerre mondiale, cette dimension incite les auteurs de S-F à explorer :

  • les dimensions du pessimisme vis-à-vis de la science
  • l’anticipation réaliste de la société et de ses technologies

En parallèle, le format magazine voit émerger le concurrent complémentaire du format poche.
Notamment en France où les maisons d’éditions créent des collections entièrement dédiées à la Science-Fiction et ses déclinaisons.

Au milieu du 20ème siècle, la Science-Fiction assume une forme assez clairement identifiable (espace, fusées, Big-eyed monsters, extra-terrestres…).
Mais elle n’en est pas moins toujours en ébullition, ouvrant la voie aux expérimentations des années 60 et 70.

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