À la suite d’un 19e siècle fait de multiples influences pré-Fantasy, la Fantasy entre, de la fin du 19e siècle au milieu du 20e, dans une nouvelle phase de développement. Un stade qualifié de Fantasy avant Tolkien et dans lequel de nombreux analystes voient un genre épars, qui se cherche, mais dont les prémices sont indéniablement perceptibles. Un stade où — si elle n’est pas aussi clairement définie que la Fantasy après Tolkien où l’inconscient collectif identifie ce genre comme étant celui auquel l’incontournable Seigneur des Anneaux appartient — il n’y a pas moins apparition d’œuvres majeures !
Mais que manque-t-il donc à ces œuvres pour qu’elles soient plus considérées comme une sorte de « proto-Fantasy » mal cernée avant Tolkien que comme un genre qui va révolutionner la perception des mondes de l’imaginaire ?
Est-ce juste une question de dépasser la littérature enfantine — à laquelle les contes se rattachent — pour toucher un public adulte ? C’est un élément assurément important. Et ce en dépit du fait qu’on y trouve des œuvres majeures mettant des enfants au cœur de leurs histoires avec Alice, Peter Pan et Dorothy.
Serait-ce alors que l’émergence quasi simultanée d’un très grand nombre de sous-genres de la Fantasy empêche de parler d’une Fantasy unique et plutôt de Fantasys au pluriel ? Car s’il est possible de définir un avant et un après-Tolkien, on peut également définir qu’il y a bel et bien eu avant lui l’apparition de plusieurs formes distinctes de Fantasys britanniques et américaines.
La Fantasy avant Tolkien et avant la Première Guerre mondiale
Entre la fin du 19e et le début du 20e, un mouvement littéraire qui s’ignore est en train d’inventer un genre nouveau, issu du fantastique, des contes de fées, des romans médiévaux et des romans d’aventures. […]
À la différence du fantastique ou de la science-fiction naissante qui opposent l’Homme et son savoir à des forces obscures (voire obscurantistes), la fantasy des débuts est à la recherche de valeurs traditionnelles dans la lutte éternelle du Bien contre le Mal.Jean-Louis Fetjaine
Entre la fin du 19e siècle et le début du 20e, avant la Première Guerre mondiale, une Fantasy joyeusement protéiforme naît à la fois aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Elle se distingue des mouvements l’ayant précédée par une adaptation des univers merveilleux des contes de fées par ses auteurs, qui dépassent alors le cadre de la seule littérature enfantine.
Ce qui n’empêche pas ses trois chefs-d’œuvre emblématiques — Alice au pays des merveilles, Peter Pan et Le Magicien d’Oz — de mettre des enfants au cœur de leurs intrigues.
La naissance de la Fantasy a partie liée avec les paradis secrets de l’enfance.
Jacques Baudou
Les prémices d’un nouveau genre dans l’Angleterre victorienne
Le chemin de cette Fantasy plurielle, britannique et américaine a été pavé par plusieurs facteurs.
En Angleterre, on peut noter le fait que de nombreux auteurs gravitent autour de cette nouvelle forme, en particulier avec le mouvement préraphaélite.
La Fantasy y émerge de plus dans un contexte généralement qualifié de sclérosé et oppressant, qui provoque en réaction un besoin compréhensible d’évasion et de rêve. D’une façon similaire, le Japon du 20e siècle a donné naissance aux mangas.
Le mouvement préraphaélite
Mouvement cherchant à peindre d’après nature, avec des couleurs chatoyantes, en exaltant la beauté des choses simples et en s’inspirant du patrimoine légendaire britannique. Il s’opposait alors à la tendance de l’Académie.
Dans le monde anglo-saxon
Aussi bien en Angleterre qu’aux États-Unis, il convient de relever l’influence de la vogue des romans historiques, ruritaniens et « de cape et d’épée » qui affinent le goût du lectorat pour l’aventure et l’exotisme.
Les romans ruritaniens
Ces derniers sont appelés de la sorte en référence au succès du roman le Prisonnier de Zenda d’Anthony Hope, qui se situe dans le pays fictif de Ruritanie, qualifié de royaume d’opérette. Ce genre particulier de romans d’aventures est rattaché à la Fantasy romantique (romance fantasy).
Outre-atlantique
Aux États-Unis, cette influence des romans ruritaniens est renforcée par des influences extérieures telles que les romans d’aventures d’Henry Rider Haggard avec Allan Quatermain, les histoires de Rudyard Kipling ou Arthur Conan Doyle, ainsi que l’auteur de Science-Fiction Edgar Rice Burroughs.
Il s’y surimpose de plus un engouement massif pour le fantastique et l’horreur qui s’affirment alors déjà comme des genres prépondérants.
Nombre d’auteurs américains majeurs ont ainsi fait des incursions vers ces genres.
De Washington Irving, auteur de Sleepy Hollow (1819) à Nathaniel Hawthorne avec le Faune de Marbre (1860), en passant par le maître Edgar Allan Poe avec La Chute de la maison Usher (1839) et Le Masque de la mort rouge (1842).
Sur une note un peu plus joyeuse, Frank Richard Stockton (1834-1902) s’illustre comme le pionnier des histoires de fantômes comiques et contribue à écrire plusieurs contes de fées.
Les précurseurs des précurseurs en Grande-Bretagne
Dans cette nouvelle tendance littéraire ancrée géographiquement et culturellement dans l’Angleterre victorienne, plusieurs auteurs se distinguent. Étonnement, beaucoup d’entre eux étaient des hommes de religion. Un élément substantiel à noter, car, à l’époque, de nombreux hommes d’Église étaient responsables de l’éducation des enfants.
Cette connexion avec l’enfance ne peut être anodine lorsque l’on prend en compte l’importance des contes pour enfants comme genre influenceur de la Fantasy et la nécessité de faire évoluer ce merveilleux pour intéresser un public adulte.
La Fantasy avant Tolkien par George MacDonald
George MacDonald (1824-1905), pasteur de son état, s’est fait connaître à travers plusieurs ouvrages qui posent les thèmes des gobelins, des mondes parallèles avec passage (miroir) et du récit métaphorique. Notamment avec Phantastes, A Faerie Romance for Men and Women (1858), La Princesse et le Gobelin (1883) et Lilith (1895).
Cet auteur est à lui seul un immense influenceur de la Fantasy britannique.
C’est lui qui incite Lewis Carroll à publier Alice au pays des merveilles, il est le grand-père de Rudyard Kipling, le beau-père du peintre préraphaélite Edward Burne-Jones (lui-même ami de l’auteur William Morris) et il a été une forte influence de lecture pour C.S. Lewis. Rien que ça !
William Morris, homme polyvalent
William Morris (1831-1896) se destinait pour sa part à la prêtrise avant de se laisser porter par son âme de touche à tout surdoué : peintre, traducteur, éditeur, imprimeur, poète, écrivain, activiste socialiste…
Il est l’auteur des ouvrages Le Pays Creux (1856), La Plaine étincelante (1890), La Forêt d’Outre-Monde (1894), La Source au bout du Monde (1896). Ces romans posent les inspirations des mythologies scandinaves, le voyage vers un monde inconnu, les mondes imaginaires sans passage ou encore la présence d’êtres surnaturels. Il est également considéré comme le précurseur de la Fantasy épique, voire de l’heroic Fantasy.
Sa disciple, Edith Nesbit (1858-1924), s’illustre au début 20e par la publication d’une série pour enfants fortement teintée de Fantasy.
Et quelques autres
Charles Kingsley (1819-1875), quant à lui, était prêtre et s’est illustré avec Water Babies, qui a connu un très grand succès. Dans Alice au pays merveilles, Lewis Carroll lui rend hommage puisque le nom de famille d’Alice est Kingsleigh.
S’illustre également Kenneth Grahame (1859-1932) avec Le vent dans les saules (1908), qui est un des premiers représentant de la Fantasy animalière.
Il offre comme nouveauté une description de société animale qui mêle diverses espèces, qui n’emprunte que certains traits à la réalité éthologique ou à l’observation et doit bien plus à la seule invention de l’auteur. La magie n’y joue pas de rôle, mais y est tout de même présupposée.
Il ouvre la voie à d’autres auteurs de Fantasy animalière tels que Richard Adams, William Horwood, T.A.D. Williams, Garry Kilworth…
Cette première génération d’auteurs de Fantasy ouvre la voie aux trois grandes œuvres de Fantasy avant Tolkien les plus marquantes.
L’influence majeure d’Alice, Peter Pan et Dorothy sur la Fantasy avant Tolkien
À quelques années de distance, deux auteurs britanniques et un auteur américain imaginent des histoires rapidement propulsées au rang d’œuvres majeures transcendant leur genre littéraire d’origine, aussi flou soit-il alors.
Les deux auteurs britanniques partagent, de plus, une série de points communs. En effet, ils ont produit des histoires pour des enfants dont ils sont extrêmement proches, avant de mettre par écrit ces romans dont le héros principal est l’un de ces jeunes gens. Des romans qui plus est dotés d’une forte empreinte autobiographique.
Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll
Lewis Carroll ou Charles Dodgson de son vrai nom (1832-1898), était gaucher, issu d’une fratrie de 11, bègue, timide et doté d’un père pasteur. Il est lui-même devenu diacre.
Génial, mais torturé, c’est souvent l’image que l’on a de cet auteur ayant vécu une enfance difficile et qui éprouvait une nette attirance pour les petites filles, qu’il demandait à photographier nues et auxquelles il dédiait fréquemment ses livres.
Rien ne permet cependant d’affirmer qu’il ait été pédophile. Ainsi, après avoir réalisé, en 1880, être allé trop loin dans ses requêtes photographiques, il arrêta la photographie et ordonna la destruction des clichés les plus osés. Par ailleurs, s’il a réellement eu une amitié amoureuse pour la petite Alice Lidell (destinatrice et muse de ses premiers écrits), il ressort d’études récentes qu’il courtisait en réalité la gouvernante des filles Lidell et avait des liaisons avec des actrices.
Alice au Pays des Merveilles (1865) et De l’autre côté du miroir sont deux œuvres à part au moment de leur parution et qui contiennent tout ce qui caractérise la Fantasy moderne : un monde imaginaire/secondaire, des créatures fantastiques et de la magie.
Outre ces éléments, Lewis s’impose comme le maître du non-sens et devient le générateur d’une influence exceptionnelle sur les surréalistes et les écrivains de l’absurde.
L’univers nonsensique qu’il explore se rattache au surréalisme. Ce terme caractérise un monde des rêves sans queue ni tête et ce quelle que soit son interprétation psychanalytique. Chez Lewis Carroll, il s’accompagne également d’un important jonglage de mots et d’un usage massif des mots-valises.
Avant Carroll et Lear, les textes destinés à la jeunesse prônaient obéissance, conformisme, sens du devoir et fustigeaient la sottise et les mauvaises manières. Depuis, ils sont du côté de la contestation et du changement .
Jackie Wullschläger, Enfances rêvées
Illustrations d’Alice au pays des merveilles par John Tenniel
Peter Pan de James Matthew Barrie
James Matthew Barrie est le second grand maître de cette Fantasy victorienne qui a ensuite été éclipsée au début du 20e par l’essor du médiéval fantastique.
Issu d’une famille de 9 enfants, James Matthew Barrie a été profondément marqué à 6 ans par le décès prématuré de son frère aîné, victime d’un accident de patinoire à l’âge de 14 ans. Dès, lors, il s’attache, pour consoler sa mère, à remplacer ce frère disparu. Son attachement au monde de l’enfance découle vraisemblablement de cet événement.
Puis, dès ses 8 ans, James Matthew Barrie s’éloigne de sa famille pour faire des études qui le mènent d’abord à une carrière d’acteur et de dramaturge où il rencontre quelques succès dans les années 1880. Mais c’est sa rencontre avec Sylvia Llewelyn-Davies et ses trois enfants (Georges, Jack et Peter, alors au berceau), dont il deviendra le tuteur à la mort de leurs parents, qui marque un véritable tournant.
Peter Pan est ainsi né des histoires que James Matthew Barrie racontait aux enfants Llewelyn-Davies. D’abord sous la forme de L’oiseau blanc, en 1902, puis d’une pièce Peter Pan ou le garçon qui ne voulait pas grandir qui devient ensuite le roman Peter et Wendy (puis seulement Peter Pan) en 1911.
Ce Pays Imaginaire réunissant Indiens et pirates évoque les grands succès de la littérature enfantine de l’époque, tels que Le Dernier des Mohicans de James Fénimore Cooper et L’Île au Trésor de Robert Louis Stevenson.
Il s’agissait à la fois d’un récit d’aventures et d’un conte merveilleux élégiaque d’une féérie intense.
Jacques Baudou
L’œuvre au-delà de l’œuvre
Si l’originalité de l’œuvre a marqué son époque, la postérité de Peter Pan prolonge encore aujourd’hui son influence.
D’une part, en raison des nombreuses revisites et suites de l’histoire, un peu à l’instar du mythe arthurien : les dessins animés Disney, le film Hook avec Robin Williams, de très nombreux films éponymes, des séries TV, séries de romans et BD. D’autre part, à cause du fameux syndrome de Peter Pan, tel que défini par le psychanalyste Dan Kiley, en 1983.
Le syndrome de Peter Pan
Caractérise un attachement au monde de l’enfance, ainsi qu’un refus de grandir et d’assumer une vie adulte.
Les personnes en souffrant ont bien souvent un parcours de vie semblable à celui de James Matthew Barrie et Lewis Carroll : relation difficile avec la mère, recherche d’une mère de substitution, une incapacité à mener des relations avec les adultes, impuissance ou difficultés sexuelles, la recherche de la pureté et de la simplicité de l’enfance.
Quoi qu’il en soit, ces deux auteurs de l’Angleterre victorienne et hautement attachés aux mondes imaginaires de l’enfance ouvrent la voie d’une féérie enfantine malicieuse et profonde. À l’inverse des contes qui l’ont précédée, cette dernière n’est ni mièvre ni moralisatrice.
Elle n’a cependant que peu de continuateurs. Parmi les plus importants, s’illustrent Le Magicien d’Oz de L. Frank Baum (1900), Winnie L’ourson d’A. A. Milne (1926) ou encore l’incontournable Mary Poppins de Pamela L. Travers (1934).
Le Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum
Difficile pour la Fantasy américaine, coincée entre le fantastique et l’influence multiple des romans d’aventures ourlés de Fantasy observés plus haut, de s’imposer comme un genre clairement défini, adulte et grand public.
Elle perce d’ailleurs d’abord en tant que littérature jeunesse. Lyman Frank Baum (1856-1919) commença notamment sa carrière dans ce domaine avant d’écrire Le Magicien d’Oz.
Cet ouvrage semble faire figure d’ovni dans le champ littéraire de son époque.
Ainsi, s’il met en avant une adolescente, il s’adresse, de par ses thématiques, à un public bien plus mature. Le parallèle avec Alice et Peter Pan est ici aisé puisqu’on y trouve une enfant emmenée dans un pays imaginaire qui n’a rien de semblable avec ceux des œuvres de Fantasy médiévale.
Dès sa sortie en 1900, Le Magicien d’Oz connaît un immense succès.
Peut-être en partie parce qu’on peut y voir une allégorie de la Grande dépression. La tornade emportant Dorothy est la crise liée au passage de l’étalon-argent à l’étalon-or pour garantir le dollar et qui touche les populations du Midwest. En parallèle, Dorothy frappant ses souliers d’argent sur la route pavée d’or symbolise le retour à la norme par le retour au bimétallisme or-argent.
Ce succès donne naissance à une suite, Le Merveilleux pays d’Oz en 1904, puis une dizaine de romans poursuivent cet univers jusqu’à la mort de l’auteur et même après !
Little Nemo in Slumberland
Enfin, en complément de ces trois œuvres majeures aux protagonistes liés à l’enfance, il est intéressant de noter le succès de l’américain Winsor McCay (1869-1934) auteur de Little Nemo in Slumberland. Cette histoire est la toute première BD de Fantasy et est publiée de 1905 jusqu’en 1914 dans le New York Herald.
En dépit du succès mondial de ces trois œuvres et de leurs répercussions sur la pop culture et l’inconscient collectif jusqu’à nos jours, ces Fantasys victorienne et américaine d’avant-guerre ne perdurent pas.
La Première Guerre mondiale marque peut-être une rupture trop importante pour permettre une diffusion plus large de cette première Fantasy protéiforme. Comme pour la Science-Fiction elle met fin à une ère, celle de l’insouciance des classes aisées de la Belle Époque. Et elle laisse la place, après guerre et jusque dans les 90’s, à des héros de Fantasy adultes pour un lectorat adulte.
La Fantasy avant Tolkien de l’entre-deux-guerres
Succédant à l’esprit encore relativement bon enfant de ces Fantasys d’avant-guerre, la rupture de la Première Guerre mondiale favorise l’émergence double d’une Fantasy adulte dotée de héros aussi burinés que burnés et bornés.
D’une part en Grande-Bretagne avec des auteurs comme Lord Dunsany, E. R. Eddison ou T. H. White et, d’autre part, aux États-Unis avec notamment H.P. Lovecraft, E.R. Burroughs ou Robert E. Howard.
L’essor du médiéval fantastique britannique
Pour cette Fantasy avant Tolkien, les années 1920 marquent ainsi une deuxième étape dans l’établissement de la Fantasy britannique avec l’apparition de la Fantasy médiévale ou médiéval fantastique. Ses auteurs emblématiques posent tous des thématiques phares que l’on retrouvera des décennies plus tard dans les nombreux sous-genres de la Fantasy après Tolkien.
Lord Dunsany (1878-1957) s’illustre par la construction, avant Tolkien, d’une mythologie imaginaire complète et doublée d’une pointe d’ironie dans des recueils comme Les Dieux de Pegana (1904) et Le Temps et les Dieux (1906).
Il produit également de la Fantasy épique, notamment avec L’Épée de Welleran (1908), Le Livre des Merveilles (1912) et Le Dernier Livre des Merveilles (1916). La fille du roi des elfes (1924), poétique et mélancolique dans son opposition inéluctable entre deux mondes (puisque le roman commence par la fin malheureuse de ses héros), est considéré comme son meilleur roman.
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Eric Rücker Eddison (1882-1945) éprouve pour sa part une passion pour les sagas islandaises.
Le Serpent ourobouros (1922) explore une planète partagée entre plusieurs royaumes dignes d’Yggdrasil et dévoile les tenants et les aboutissants d’une guerre entre démons et sorciers. Le témoin fantomatique de ces événements est, par ailleurs, le héros de la Trilogie de Zimiamvia (1935 à 1958), qui se débat, lui, dans un monde créé pour tromper l’ennui de créatures immortelles.
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T.H. White (1906-1964) apporte, quant à lui, une contribution majeure, quoique résolument humoristique, pleine de fantaisie et d’anachronismes au récit arthurien avec La Quête du roi Arthur (The Once and Future King).
Le 1er tome, L’épée dans la pierre en 1938, a inspiré le Merlin l’enchanteur de Disney. La saga s’assombrit progressivement en miroir de la montée du nazisme et de l’approche de la guerre. Le dernier tome, écrit en 1941 et fermement pacifiste n’est publié par l’éditeur qu’en 1977Dans ce
Le médiéval fantastique américain
Aux États-Unis, la fantasy médiévale n’est pas non plus en reste avec James Branch Cabell (1879-1958).
Cet auteur est plus orienté adulte et écrit une fantasy médiévale teintée d’humour, située entre satire sociale, philosophie et romance. Il ouvre la voie de la light Fantasy avec des auteurs tels que l’incontournable Terry Pratchett (De bons Présages, les Annales du Disque Monde).
On lui doit notamment Figures of Earth (1921), Silver Stallion (1926), The High Place (1923) ou encore Biography of the Life of Manuel (1901-1929) qui inclut 8 romans. Dont Jurgen, a Comedy of Justice (1919), qui valut à son auteur un procès pour obscénités par les ligues de vertu.
Toutefois, outre-Atlantique, ce sont surtout les pulps qui occupent le devant de la scène et diffusent largement ces Fantasys joyeusement multiples d’avant Tolkien.
Un engouement populaire avec Weird Tales et autres pulps
À l’instar de la Science-Fiction, les auteurs de Fantasy sont publiés dans des pulps tels que Weird Tales, qui agit comme une sorte d’école de la Fantasy américaine. On y trouve de grands auteurs : H. P. Lovecraft, Abraham Merritt, E. Hoffman Price, Clark Ashton Smith, Fritz Leiber, Tennessee Williams, Robert E. Howard…
L’ombre de Lovecraft sur la Fantasy avant Tolkien
H.P. Lovecraft (1890-1937) a une influence non négligeable sur cette première Fantasy multiple avant le succès de Tolkien.
D’une part parce qu’il est l’illustre représentant du courant littéraire fantastique dont l’effet sur le mouvement naissant de la Fantasy était déjà perceptible avant-guerre. Ensuite parce que, en plus d’être un contributeur régulier de Weird Tales, il a inspiré de nombreux auteurs de Fantasy et il est à l’origine de la Dark Fantasy (Fantasy sombre).
Dans ce cadre, ses cycles reposent sur des thématiques chères à la Fantasy : le cycle de Cthulhu implique l’existence d’un monde parallèle, tandis que son cycle onirique est rempli de pays imaginaires, contrées du rêve et créatures (fantastiques, dieux anciens, mages…).
Lovecraft a, par ailleurs, entretenu une très grande correspondance avec, d’une part, son disciple Clark Ashton Smith (1893-1961), qui s’est illustré en tant qu’auteur de quatre cycles oscillant entre Fantasy, fantastique et horreur et, d’autre part, le maître de la sword and sorcery Robert E. Howard.
L’ensemble de ces influences forme un milieu très favorable à l’émergence d’un des plus importants sous-genres de la Fantasy marquant durablement les années d’avant Seconde Guerre mondiale : l’Heroic Fantasy (Fantasy héroïque ou des héros).
Les grands noms de l’Heroic Fantasy
Si Robert E. Howard est généralement considéré comme étant l’un des plus grands auteurs d’Heroic Fantasy, il n’en est pas le premier ni le fondateur.
Ce rôle revient à ses prédécesseurs et contemporains tels que Henry Rider Haggard (1856-1925), auteur de Elle et Éric aux yeux brillants (1891). Mais également Abraham G. Merritt (1884-1943) avec Le Gouffre de la lune (1919), Le monstre de métal (1920) et La Nef d’Ishtar (1924). Ou encore Talbot Mundy (1879-1940) qui a produit Caves of Terror (1922) et la saga incluant les romans Tros of Samothrace (1925), Queen Cleopatra (1929) et Purple Pirate (1935).
Sans oublier Edgar Rice Burrough (1875-1950) bien entendu !
Cet auteur prolifique s’illustre d’abord avec le personnage de Tarzan, qui lance sa carrière à partir de 1912. Puis, il développe de nombreux cycles aventureux qui prennent place tantôt sur des planètes lointaines tantôt au cœur de la nôtre.
S’y mêlent une fantasy héroïque faite d’épées et une science-fiction légère de vaisseaux spatiaux, qui ouvrent la voie à une space Fantasy débridée. Si son œuvre la plus connue est peut-être le cycle de Mars, écrit de 1912 à 1948 et mettant en scène le personnage de John Carter (John Carter et Cycle de la Lune débute en 1923), d’autres destinations méritent d’être citées. Parmi elles, on trouve le cycle de Caspak édité à partir de 1918, le cycle de Vénus publié à partir de 1932 et qui est une satire anticommuniste, ou le cycle de Pellucidar (1914-1940) qui se passe sur Terre.
Robert E. Howard (1906-1936), maître de la sword and sorcery
Mais celui qui se distingue de manière exceptionnelle à cette époque, malgré la courte carrière d’écrivain, c’est Robert E. Howard, dont la grande qualité littéraire mériterait d’être plus reconnue.
Il est souvent considéré comme un fondateur de la Fantasy.
Mais les analystes contemporains estiment plutôt qu’il est le fondateur d’une branche de Fantasy aujourd’hui mourante, la sword and sorcery. En dépit de son succès, il n’a ainsi pas la même ampleur que Tolkien, qui a, lui, donné ses lettres de noblesse à la Fantasy, influencé des générations d’auteurs et bâti une œuvre qui continue de se vendre des dizaines d’années après sa mort.
Sword and sorcery
C’est le terme par lequel les aficionados qualifient affectueusement cette école de la fiction fantastique dans laquelle les héros sont plus héroïques, les vilains tout à fait infâmes et où l’action prend totalement le pas sur le commentaire social ou sur l’introspection psychologique .Lyon Sprague de Camp
Thymm, Zahorsky et Boyer caractérisent ce genre par quatre points :
1/le héros est un guerrier barbare charismatique ;
2 / l’emphase est mise sur l’action ;
3 / le style est simple, prosaïque, familier ;
4 / la violence y est gratuite et sensationnelle.Jacques Baudou
Un écrivain-expert
Chez Robert E. Howard, la forme est indissociable de l’œuvre et conditionne le fond.
De fait, à force d’écrire pour Weird Tales, il est devenu un expert à cet exercice d’efficacité qu’est la production de nouvelles où il faut rapidement plonger le lecteur au cœur de l’action. Au détriment certes, d’une tendance répétitive de construction.
Écrivant depuis ses 19 ans (1923), Robert E. Howard a connu un premier succès avec Solomon Kane. Puis, durement touché par la Dépression de 1929, il crée Conan le Cimmérien en 1932 avec Le Phénix sur l’épée et fait paraître le barbare musclé dans Weird Tales à partir de 1935.
Cet auteur touche-à-tout de la littérature populaire a écrit sur des sujets aussi divers que le western, l’horreur, le polar, la boxe, le fantastique, etc. Et pourtant, c’est bien son personnage de Conan le Barbare qui a le plus monopolisé les mémoires.
Un succès qui l’amènera à écrire 30 histoires de Conan. Ces dernières sont de qualité variable, font montre d’un racisme qui serait aujourd’hui choquant et offrent de nombreux prétextes à chair de femme nue.
Le succès de Conan le Barbare
Pour l’époque, Conan est néanmoins d’une audace et d’une modernité exceptionnelles.
Cet antihéros guidé par son instinct de survie et un système de valeurs propre à son univers guerrier est violent, parfois sadique et considère les femmes comme objets de désirs inassouvis, dans un monde d’une noirceur crépusculaire à la limite de l’horreur et hanté de créatures hideuses.
Des caractéristiques spécifiques à l’Heroic Fantasy et à la sword and sorcery que l’on retrouve naturellement chez ses successeurs tels Elric le Nécromancien.
Le succès de Conan dépassera même la mort de son auteur qui se suicide en 1936.
La publication de romans posthumes à partir de 1950 marque une première étape. Puis, Lyon Sprague de Camp parvient par deux fois, en 1950 et 1970, à remettre Conan au goût du jour. Cependant, dès 1966, sa réécriture en partenariat avec Lin Carter est considérée comme discutable, car dénaturant les originaux.
Par la suite, Conan devient une franchise commerciale exploitée par de nombreux éditeurs dans les années 80.
Conclusion sur la Fantasy avant Tolkien
Avant la Seconde Guerre mondiale, la Fantasy a donc bien entamé sa diffusion au niveau international.
Son essor est alimenté par la recherche d’évasion dans les mondes de l’imaginaire par un public de plus en plus familier des pulps et habitué à voir de grands auteurs s’approprier ce genre multiple (Lovecraft, Edgar Allan Poe, Lewis Carroll…).
De nombreux sous-genres de la Fantasy commencent ainsi à se former dès cette époque, avant que Tolkien et ses contemporains ne viennent révolutionner durablement la manière dont ce genre épars est perçu.
Ce qu'il faut retenir
La Fantasy avant Tolkien, celle qui s’épanouit de la fin du 19e siècle au milieu du 20e se divise en deux périodes chronologiques clairement différenciables.
D’une part, avant la Première Guerre mondiale, on observer une Fantasy essentiellement victorienne qui commence à s’adresser aux adultes.
Elle donne naissance à des œuvres telles que :
- Alice au pays des merveilles et son univers non-sensique de Lewis Carroll
- Peter Pan et sa féérie enfantine de James Matthew Barrie
- Mais également Le Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum, qui marque les débuts d’une Fantasy américaine
D’autre part, après la Première Guerre mondiale, qui agit comme une véritable rupture, on constate une prédominance de la Fantasy médiévale, aussi bien en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis.
Cette dernière tend elle-même, à travers les écrits de ses auteurs et sous l’influence extérieure de l’engouement pour les romans d’aventures, le fantastique et les pulps, à se ramifier en :
- Fantasy épique (Lord Dunsany),
- Dark Fantasy (Lovecraft),
- Light Fantasy (James Branch Cabell),
- Heroïc Fantasy (Edgar Rice Burrough avec John Carter),
- Sword and sorcery (Robert E. Howard avec Conan le Barbare).