Les tardigrades ne sont pas intéressants que pour les fans de Doctor Who qui pourraient être tentés de les rapprocher, par fausse homonymie, du bien-aimé TARDIS. Même si, un peu comme le TARDIS modèle 40 du Docteur (Sexy, pour les intimes), les tardigrades sont dotés de surprenants superpouvoirs. Sans parler de leur étonnant état de cryptobiose qui leur confère une forme d’invulnérabilité à peu près à tout et qui n’en finit pas de faire s’extasier le monde scientifique.
Les tardigrades en bref
En bon amateur des étrangetés du vivant, Links the Sun dresse, dans son Point culture, un portrait tout en humour doublé d’exactitude des fameux tardigrades !
Un peu de contexte
Sans aucune corrélation avec le TARDIS, les tardigrades tirent en réalité leur nom savant des termes latins tardus « lent » et gradi « marche ». Et ce sont effectivement des marcheurs lents (sans lien avec les marcheurs blancs de Game of Thrones non plus).
Ils sont également appelés ours ou oursons d’eau, water bear en anglais. Pour d’obscures raisons, qui oscillent vraisemblablement entre une myopie sévère et une forme trapue lointainement assimilable aux sympathiques mammifères pelucheux à quatre pattes.
Catégorisés comme extrémophiles, les tardigrades sont à peu près aussi inclassables que les champignons. Actuellement rattachés à l’ordre des panarthropodes, ils sont disponibles en plus de 1000 espèces terrestres ou aquatiques. Ils se retrouvent sous n’importe quel climat et vivent, de fait, partout où l’on trouve de l’eau et des végétaux.
Panarthropodes : Embranchement de la classification des espèces qui regroupe les onychophores (sortes de vers), les arthropodes (invertébrés à pattes articulées et dont le corps est formé de segments) et les tardigrades.
- Un style bien affirmé
Dans l’ensemble, les tardigrades vivent en groupe et partagent des caractéristiques communes.
- 4 paires de pattes
- Invertébré
- Présence d’un cutile, sorte d’exosquelette en segments
- Longueur de 50 mµ à 1,2 mm
- Sexuée
- Par parthénogenèse
- Chasse de petits animaux
- Consommation de détritus
- Pompage du liquide interne des végétaux à l’aide d’un appendice buccal en forme d’aiguille…
- de quelques mois,
- à plusieurs dizaines d’années
Cette étonnante diversité, qu’il s’agisse des points communs ou des divergences, indique une capacité exceptionnelle d’adaptation et de résistance. Évoluant dans des milieux hostiles soumis à des variations notables d’évaporation et de chaleur, les tardigrades se sont ainsi dotés de superpouvoirs.
Les superpouvoirs des tardigrades en état de cryptobiose
Si leur capacité d’adaptation à tout milieu rappelle Darwin des X-Men par bien des aspects, les tardigrades donnent l’impression d’être un superhéros cheaté, des sortes de Mary-Sue de l’évolution.
Toutefois, léger bémol, la plupart de ces capacités ne s’activent qu’en état de vie ralentie, dit cryptobiose.
Dans cet état, plus aucune réaction chimique n’est décelable par les moyens actuels. Les tardigrades sont ainsi comme morts, ce qui les immunise contre des dangers communément admis comme étant mortels.
Les tardigrades sont alors en mesure de résister à :
- des températures allant du zéro absolu (-273,15 °C) à 151 °C (pendant 30 minutes)
- d’importantes durées de congélation, puisque certains se sont ranimés après avoir été extraits de carottes glaciaires vieilles de 2000 ans
- l’espace, qui se compose, d’une part, de vide faisant bouillir l’eau interne et, d’autre part, de rayonnements ultraviolets détruisant les chromosomes
- une pression de 600 mégapascals (c’est beaucoup : 300 fois l’atmosphère)
- une dose de rayons X de 570 000 rads ou 6000 sieverts (la létalité pour l’homme se situe autour de 500 rads ou six sieverts)
Le plus surprenant dans tout cela s’avère être que seule une partie de la panoplie de superpouvoirs des tardigrades est en fait imputable à une nécessaire adaptation aux milieux hostiles dans lesquels ils évoluent.
De plus, même si ces étonnantes capacités de résistance sont remarquables, le véritable pouvoir semble bien être celui de pouvoir s’autocryogéniser afin d’arrêter son métabolisme.
Les propriétés de la cryptobiose
Afin de se protéger contre des environnements hostiles, les tardigrades ont donc la faculté de plonger leurs corps dans un état de vie ralentie. Pour ce faire, ils ont à leur disposition une large palette de méthodes. L’activation de l’une ou l’autre dépend d’ailleurs du stress auquel ils sont soumis.
Arrêter son métabolisme interne
Les tardigrades recourent à l’anhydrobiose pour se déshydrater quasi complètement.
Ils expulsent ainsi plus de 90 % de l’eau de leur corps et survivent avec 1 % de l’eau qu’ils contiennent habituellement. Sous cette forme recroquevillée, qui les fait ressembler à un tonnelet, leur activité vitale diminue à 0,01 % de la normale et leur ADN se disloque en petits morceaux.
Afin de résister à un tel état et de se ranimer par le processus d’anabiose ou reviviscence, les tardigrades en dessiccation totale figent leur ADN grâce à une sorte d’antigel.
Ils n’utilisent toutefois pas le sucre antigel du type tréhalose exploité par d’autres espèces comme les artémies (crustacés) ou certaines grenouilles. En effet, les tardigrades semblent plutôt recourir à l’activation de protéines dites « intrinsèquement ou nativement désordonnées » ou IDP. Ces dernières peuvent adopter différentes formes afin de former une structure vitreuse qui immobilise les molécules dans les cellules.
Protéger son ADN
La méthode d’anhydrobiose serait cependant propre à la dessiccation. Pour se protéger contre les radiations capables de détruire l’ADN, les tardigrades recourent en effet à une autre protéine.
La Dsup pour Damage suppression protein se lie à la chromatine (structure d’ADN dans les cellules eucaryotes) des cellules et préserve l’ADN des radicaux hydroxyles produits par les rayons X.
Réparer son ADN
En complément, les tardigrades seraient dotés d’un procédé de réparation d’ADN qui est encore mal compris.
Entre autres expériences, celle du scientifique suédois Ingemar Jönsson a permis d’explorer cette particularité sous un jour nouveau. À noter que cette expérience est suspicieusement baptisée « Tardis » pour Tardigrades in space.
Quatre séries de tardigrades composées de quatre espèces différentes ont ainsi été exposées pendant 12 jours au vide spatial et à diverses radiations. L’expérience a donné les résultats suivants :
- aucuns UVA et UVB = survie à 100 %
- UVA = survie à 100 %
- UVB = survie à 20 %
- UVA et UVB = survie à 0 %
Ces taux de survie sont intéressants. Ils impliquent en effet l’intervention de mécanismes de réparation de l’ADN nécessairement dégradé par les rayonnements.
Ce mécanisme proviendrait du génome particulièrement mixé des tardigrades.
En effet, un sixième de leurs gènes est issu de transferts horizontaux d’autres organismes (bactéries, archées, plantes, champignons). Une étude de 2015, qui analysait plusieurs extrémophiles, concluait d’ailleurs qu’une résistance extrême devait logiquement s’accompagner d’une capacité à intégrer des gènes étrangers utiles.
Quel intérêt pour la science ?
Si les tardigrades fascinent autant les scientifiques, c’est également parce qu’ils ont l’espoir de pouvoir transmettre au moins une partie de ses superpouvoirs à l’homme. Ou bien d’exploiter certaines de leurs propriétés pour la fabrication de produits pharmaceutiques.
1. En effet, le principe de vitrification pourrait être utilisé pour conserver des médicaments, voire préserver des cellules vivantes.
2. Par ailleurs, la Dsup, dont la compatibilité chez l’homme était déjà connue, permettrait de protéger l’ADN de nombreux types de cellules contre les rayons X.
3. Enfin, la création de versions optimisées de Dsup ouvrirait la porte à des applications précieuses dans le cadre des thérapies cellulaires ou de la conception de produits pharmaceutiques dans des cellules en culture.
Ce qu'il faut retenir
Les tardigrades sont des panarthropodes extrémophiles capables de résister à des situations de stress considérables :
- zéro absolu,
- longues périodes de congélation,
- vide spatial,
- radiations,
- rayons X,
- fortes pressions…
Ils peuvent le faire en se plongeant en état de cryptobiose ou vie ralentie auquel ils parviennent grâce à une palette d’outils spécifiques :
- dessiccation ou déshydratation totale
- vitrification des cellules par activation de protéines « intrinsèquement ou nativement désordonnées »/IDP opérant comme un antigel d’ADN
- protection de l’ADN contre les radiations, grâce aux Dsup/Damage suppression protein
- réparation de l’ADN, grâce à un génome enrichi de transferts horizontaux