Imaginez une soirée égayée d’un bon repas. Un vin frais rempli les verres, tandis que de succulents mets rendent appétissantes même les assiettes qui les contiennent. Et là, en vient à être posée, en tout innocence, une question ayant trait au sauté de pleurotes dont se régalent les convives. “Mais au fait, que sont exactement les champignons ?”
On aurait très certainement des réponses aussi variées que :
- “Ben, c’est ce que t’as piqué au bout de ta fourchette”, pour les Captain Obvious de service.
- “C’est les psylo que j’ai acheté sur EBay la semaine dernière”, pour les plus aventureux.
- Ou encore, pour les plus malchanceux, “c’est ce qui te pousse sous l’ongle du gros orteil gauche, espèce de gros…”.
- Fatalement, arriverait le commentaire du mycologue de la bande : “c’est le mycélium, les fils tous blancs qu’il y a au pied du champignon”.
En omettant le fait que toutes ces réponses sont d’une pertinence indiscutable, posons-nous cette même question. Que diable sont les champignons au final ? D’où viennent-ils et à quoi servent-il ? Comment les reconnait-on et comment s’alimentent-ils ?
Un passé sans trace ?
- Les champignons en quelques mots
Introduisons tout d’abord le sujet (il ne s’agit pas d’inoculation) par quelques généralités. Effectuons ainsi un petit coup d’œil à l’état de l’art pour bien commencer le commencement. De fait, on ne sait pas d’où viennent les champignons.
Voilà, on peut passer à la conclusion et aller fouetter d’autres chats…
Non, plus sérieusement, les champignons font partie des eucaryotes.
C’est-à-dire des individus dont la ou les cellules disposent d’un noyau qui héberge, entre autres, leur information génétique. Ils s’opposent aux procaryotes, qui sont, eux, des organismes unicellulaires qui ne possèdent pas de noyau (bactéries, cyanophycées).
Un épais mystère
Les champignons sont toutefois les eucaryotes les plus jaloux qui soient quant à leurs origines.
Pour percer à jour ce mystère, il nous faudrait bien plus qu’un Beagle et un Darwin réincarné revenu de son agoraphobie. Car, contrairement à Attila, là où le champignon passe, il ne laisse pas de traces. Ou très peu.
En effet, de par la fragilité relative de leurs tissus, les champignons se décomposent extrêmement vite.
Je dis relative puisque ceux-ci sont tout de même composés de chitine (comme celle des exosquelettes des insectes). Ils ne se fossilisent donc que dans quelques rares occasions. Et seul l’œil expert d’une Mary Anning, chasseuse de fossile de la côte jurassique de son état, pourrait les discerner dans leur écrin rocheux.
Ainsi, jusqu’à fort récemment, les seuls exemplaires dont disposaient les scientifiques pour retracer le long fleuve mouvementé de la vie de ces gentilles petites créatures – moins plantes qu’animales – étaient des ascomycètes (une division dont les truffes forment une famille appréciée) et des spores fossilisées dans l’ambre.
Et, bien que de récentes découvertes nous donnent davantage d’indications temporelles et repoussent de quelques centaines de millions d’années le moment d’apparition des champignons sur notre, à l’époque, pas si vielle Terre, elles sont insuffisantes pour que nous puissions tirer avec certitude sur ce fil d’Ariane de l’évolution.
De minces découvertes
Les champignons laissent peu de traces, nous l’avons vu. Raison de plus pour faire le point sur ces quelques découvertes qui permettent d’y voir un peu plus clair.
- Gondwanagaricites magnificus tout d’abord
Il s’agit du plus vieux sporophore fossilisé que nous connaissions.
Il a été extrait de sa gangue de roche certainement en 2017 (un premier article en faisant mention est paru le 7 juin 2017). Et il présente des caractéristiques des champignons à lamelles. C’est-à-dire, des lamelles, pour commencer, puis un chapeau monté sur un pied, suivi, enfin, de ce qui lui sert d’appui et pourrait vraisemblablement être un bulbe.
Découvert au Brésil dans un lagerstätten de la Chapada do Araripe entre les États de Ceará et Pernambuco, ce basidiomycète fricotait déjà avec les plantes à fleurs d’il y a 115 millions d’années.
Sporophore : Partie fertile d'un champignon produisant les spores, de forme variable et qui comporte un pied (ou stipe) et un chapeau chez les champignons typiques.
Lagerstätten : sorte de filon pour les fossiles, c’est une roche sédimentaire riche en petites ou grosses bestioles fossilisées, ou qui en contient des exemplaires en très bon état de conservation.
Basidiomycète : Champignon supérieur dont les spores sont portées sur des basides (organe reproducteur principal).
Ourasphaira giraldae, ensuite
Il a été découvert dans la roche argileuse du lit d’une rivière de l’île Victoria au Canada.
Il s’agit d’un résidu de sporée, soit l’ensemble des spores produites par un individu. Sa bonne conservation et la présence de matière organique encore intacte ont permis de le déterminer comme tel.
L’analyse morphologique qu’impose normalement ce genre de cas a pu, ici, être doublée d’une analyse chimique. Cette dernière a révélé une forme sphérique, des filaments ramifiés, des parois cellulaires à deux couches. Ainsi que la présence de chitine datant de près d’un milliard d’années, soit plus vielle que le premier insecte connu.
Cette nouvelle donne redistribue par conséquent un peu les cartes du débat sur la séparation en deux branches des Opisthochontes. À savoir, les holomycètes d’un côté et les holozoa de l’autre. En d’autres termes, l’embranchement qui a scindé la ligné des ancêtres communs aux champignons et aux animaux.
Tout était plus grand avant !
L’évolution des champignons offre ainsi un panorama très flou où l’imagination se laisse volontiers emporter par des élans irréfrénables tant les possibilités semblent infinies.
D’ailleurs, un exemple récent nous fait entrevoir ce qu’Hergé avait en tête en dessinant l’île mystérieuse. Mais si, vous savez celle sur laquelle poussent des champignons gigantesques en l’espace de quelques secondes ! Ne dit-on pourtant pas “pousser comme un champignon” ?
La surprenante découverte des Prototaxites
Les débats ont donc récemment fait rage au sein de la communauté scientifique. (Elle, pourtant si apaisée et d’habitude si prompte à enterrer la hache de guerre…).
Le sujet responsable de tout ce bazar en était ces étranges fossiles de Prototaxites retrouvés au Canada. Et auxquels sont venus s’ajouter de nouveaux exemplaires mis au jour à d’autres endroits de la planète.
Datant du Dévonien, période favorable au développement des plantes, Prototaxites est passé d’abord pour un tronc d’arbre.
Mais, d‘une part, les arbres n’avaient pas encore pointé le bout de leurs bourgeons. Et, d’autre part, la terre sur la roche-mère de l’époque ne devait pas excéder une épaisseur de quelques centimètres et était couverte de bryophytes (mousses), de lichens et d’algues.
Une plante au tronc long de plus de 8 mètres et de presque un mètre et demi de diamètre n’aurait pas pu trouver de nutriments en quantité suffisante pour prospérer.
- Des explications insatisfaisantes
La communauté scientifique s’est par conséquent mise à bûcher et à noircir du papier pour abandonner l’idée du bois.
Dans ce cadre, une explication fondée sur les “variations des ratios observés entre les valeurs isotopiques du carbone” a commencé à percer. Elle tendait à prouver qu’il s’agissait, non pas de plantes mais, pourquoi pas, de champignons.
Relayée dans la presse à coup de gros titres tapageurs, cette hypothèse formulée en 2007 par un chercheur du musée national d’histoire naturelle de Washington a toutefois été remplacée par une autre.
Plus raisonnable, elle affirmait que ces structures seraient plutôt dues à un enroulement sur lui-même d’un matelas formé de mousses, d’algues, de champignons et de lichens. Un composé que le vent aurait arraché à la roche sur laquelle il reposait.
Quoi qu’il en soit, il reste difficile de trancher sur la question. Et il ne s’agit là que d’un des nombreux aspects de la difficile classification des champignons !
Ce qu'il faut retenir
Les champignons, c’est bon, mais pas besoin qu’ils soient hallucinogènes pour faire tourner les têtes !
Les scientifiques sont aujourd’hui encore partagés sur leur place dans l’ordre du vivant et sur le moment de leur séparation d’avec la branche animale.
Appartenant à la famille des eucaryotes, les champignons laissent très peu de traces fossiles. Ce qui ne facilite pas l’analyse de leur évolution.
Quelques découvertes précieuses indiquent toutefois que cet ordre existerait depuis pas loin d’un milliard d’années. Certains spécimen auraient même atteint des tailles respectables, faisant de l’ombre aux arbres qu’ils ont précédés.