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Qu’est-ce que la Science-Fiction ? – Article 7 – Une diversité constamment renouvelée

Après des décennies à osciller entre amour et désamour, considération et déconsidération — aussi bien parmi ses porteurs que ses détracteurs — qu’en est-il de la Science-Fiction aujourd’hui ? Une chose est sûre, si elle est bel et bien un genre hétéroclite, elle n’est plus ce petit genre populaire de bas étage que les autres genres « plus nobles » peuvent renier sous prétexte de sa difficulté à le définir.

Grâce à son étonnante diversité constamment renouvelée, la S-F est aujourd’hui porteuse d’une unité plurielle. De fait, « merveilleux rationnel » elle reste toujours plus facile à définir en tant qu’ensemble de parties plutôt qu’un tout. La S-F c’est souvent « par exemple La Planète des Singes, Interstellar… » ou « comme ce que font Asimov, Dick, Damasio, Herbert… »

Les derniers avatars de la Science-Fiction

Cette hétérogénéité a donné naissance, au fil des décennies, à une immense variété de gimmicks, sous-genres, mythes et clichés. Des plus nobles aux plus éculés que les connaisseurs verront arriver à quinze kilomètres et qui en poussent certains à se demander si la S-F n’est pas déjà morte il y a quelque temps et que quelqu’un s’amuse à jouer aux marionnettes avec son cadavre.

Et pourtant, la Science-Fiction est toujours bien vivante et continue de s’adapter. L’adhésion du grand public à l’anticipation et à la Hard S-F semble notamment particulièrement vive.

Dans un monde de plus en plus technologique et dystopique, où la réalité se confond de plus en plus avec l’anticipation, le genre science fictionnel est en train de muter, de s’hybrider avec la littérature classique, dite “blanche”. Au point peut-être de devenir bientôt un objet plus contemporain et grand public que ses racines de littérature pour initiés ne l’ont condamné à rester.

  • Mondes apocalyptiques et post-apocalyptiques

La forte préférence contemporaine des lecteurs pour les univers apocalyptiques et post-apocalyptiques reflète cette vitalité. En bons miroirs de la société, ces sous-genres thématiques incitent à réfléchir sur les dérives potentielles de nos modes de vie actuels.

Il suffit d’ailleurs d’observer la quantité de films et de séries sortis dans les dix dernières années qui traitent de près ou de loin ces thématiques.
On trouve de tout, comme des films de zombies (de
Dernier train pour Busan à Bienvenue à Zombieland en passant par la série des Resident Evil). Ou bien des univers changeants ou décrépis confrontés à des menaces variées (Interstellar, Oblivion, District 9, Black Mirror). Et même des univers qui ignorent, partiellement ou en totalité, leur décrépitude, souvent morale (Altered Carbon, Westworld, Le Transperceneige).

La science-fiction est un puissant révélateur de ce qu’une société est susceptible d’accepter comme relevant du “possible” ou du “scientifique” à un moment donné de son existence. Elle est un marqueur de l’avancée ou du recul de la culture scientifique

  • Climate-fiction

Le dernier-né de cette vague introspective est le sous-genre de la climate-fiction.
Si le terme a été inventé autour de 2010 par
le journaliste américain Dan Bloom, le genre en lui-même n’est pas si récent que cela. Il trouve en effet ses racines au moins dans les années 70-80.

Dans sa liste d’ouvrages sur la Cli-Fi, Babelio y rattache entre autres Le Cycle des Robots 3 ou Fondation 4 d’Isaac Asimov et Sécheresse de J. G. Ballard (1975). D’autres citent même Le Monde Englouti (1964) de J. G. Ballard.

Mais l’adhésion du grand public à ces thématiques est plus tardive.
Mélange d’éveil de conscience sociétale et de l’impact visuel de certains films récents tels que Le Jour d’après (2004) ou 2012 (2009), la climate-fiction a su marquer un tournant dans l’appréciation d’événements globalement plausibles capables d’affecter l’ensemble de la planète.

La climate-fiction ou Cli-Fi puise sa popularité actuelle dans la peur de l’avenir et la collapsologie.

Collapsologie
L’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder.

Comme auteurs contemporains, on peut notamment citer l’américain Paolo Bacigalupi avec La Fille automate (2012), Ferrailleurs des mers (2014), La Fabrique de doute (2015) ou Water Knife (2016). Mais également Jean-Marc Ligny avec Aqua (2015), Maxime Chattam et sa saga Autre-Monde (2012), Claire Vaye Watkins (Les Sables de l’Amargosa, 2017), Pierre-Yves Touzot (Terre Lointaine, 2008)…

Challenge commentaire !
La liste est ici fort peu exhaustive et vous êtes les bienvenus pour l’étoffer par vos commentaires !

Toutefois, au-delà de nouveaux sous-genres relativement distincts embrassés par le grand public et la culture populaire, la Science-Fiction du deuxième millénaire se caractérise également par un éclatement géographique et de supports.

La S-F en expansion

Fait marquant du changement de millénaire, la Science-Fiction s’est nettement épanouie géographiquement. Non pas tant parce qu’elle n’existait pas ailleurs que parce qu’elle restait inconnue de la pop culture des territoires plus traditionnels (France, Royaume-Uni et États-Unis).

  • La Science-Fiction hors de ses territoires d’origine

1. Depuis les années 20, la S-F russe a ainsi connu plusieurs grands auteurs tels que Konstantin Tsiolkovsky, Tolstoï, Vladimir Obruchev. D’après Jacques Baudou, la « reprise en main idéologique » a cependant limité son essor jusque dans les années 70 où elle perce brièvement avec les Frères Strougatski ou encore Ivan Efremov.

Ce dernier pose la S-F soviétique comme acceptant « le rôle de rêve ailé que la critique veut lui imposer » et comme seul genre qui permet d’exprimer « aussi directement la révolte de l’inconscient contre les forces de la raison (dont la raison d’État). » Une S-F engagée donc qui subit rapidement les foudres de la censure avant de recommencer peu à peu à s’affirmer après la chute du mur de Berlin.

2. Plus récemment, la S-F asiatique a fait parler d’elle avec des auteurs tels que Liu Cixin dont le roman Terre errante (2000) a été adapté en 2019 au cinéma tandis qu’un autre roman Le Problème à trois corps (2016) s’oriente vers une déclinaison en série TV.

3. Enfin, les S-F africaine et arabe sont actuellement portées par des écrivains qui cherchent à faire reconnaître leurs spécificités. L’égyptien Nihad Sharif, l’Américaine d’origine nigérienne Nnedi Okorafor (Qui a peur de la mort ? 2010), la sud-africaine Lauren Beukes (Zoo City, 2010) ou l’angolais José Eduardo Agualuza (Barroco Tropical, 2009).

Territoires traditionnellement largement explorés par la Fantasy et victimes de trop nombreux stéréotypes, le « mystérieux Orient » et les mythes africains « sauvages » constituent ainsi un terreau fertile pour les réflexions d’anticipation S-F tournées vers l’avenir.

Pour en savoir plus sur la S-F africaine, le site du cairn met à disposition un article complet sur la Science-Fiction africaine et sa connexion avec le genre littéraire de l’anticipation, d’une part, et le monde cinématographique, d’autre part.

En somme, des S-F porteuses des germes d’une diversité renouvelée étant donné la variété culturelle, politique et économique des différents pays présents sur ces territoires.

Car, ce qu’il ressort de cette nouvelle vague de diversification en S-F, c’est bien la diversité et l’entremêlement des différents supports.

  • Diversification des supports et S-F populaire

Ainsi, si la S-F a toujours eu des affinités avec le monde cinématographique, l’explosion des supports des 20 dernières années indique, sans le moindre doute, sa pénétration toujours plus forte de la pop culture. Livres, BD, séries TV, films et films d’animation, jeux vidéos, YouTube… La S-F est partout.

2020 s’annonce d’ailleurs une année faste pour la S-F, qui démontre une intrication étroite des différents supports.
Du très attendu jeu vidéo
Cyberpunk 2077 (porté par l’acteur Keanu Reaves), au film Matrix 4 (avec Keanu Reaves), en passant par le film d’animation Evangelion 3.0 + 1.0 (sans Keanu Reaves), une nouvelle adaptation du pourtant réputé inadaptable roman Dune de Franck Herbert sur grand écran ou la sortie de deux séries du toujours indémodable et actuel La Guerre des Mondes de H. G. Wells.

La S-F semble se complaire à être un joyeux fouillis complexe et tentaculaire qui puise sa force même au sein de cette diversité thématique sans cesse renouvelée et de la communication entre ses sous-genres et supports.

Un sympathique bordel que certains se sont amusés à trier !

TRIER LA S-F

  • Une arborescence complexe

Une des images les plus connues est l’organigramme de la Science-Fiction, simplifié, mais non pas simple. Cet outil non exhaustif et adoptant une approche chronologique est naturellement incomplet. Construit de façon collective, il permet cependant d’illustrer de nombreuses thématiques à l’aide d’ouvrages que vous ne connaissez peut-être pas !

  • Un répertoire thématique

Sinon, pour les plus carrés d’entre vous, Jacques Baudou s’est efforcé de réaliser, à la fin de son Que-sais-je ? un répertoire des thèmes de la S-F.

Une liste plus concise qui vous est proposée ci-dessous dans sa version la plus épurée et qui donne l’impression que tout a déjà été dit/redit et vu/revu, sans tout dire non plus puisque tout s’invente et se réinvente également !

Espace

  • Voyage dans l’espace
  • Colonisation de l’espace avec missions de repérage/exploration
  • Terraformation
  • Océans cosmiques et leur mythologie
  • Extraterrestres
  • Civilisations extraterrestres avec au-delà du contact l’exploration
  • Invasion extraterrestre
  • Histoires du futur

Temps

  • Voyage dans l’avenir
  • Voyage dans le passé
  • Autres écoulements du temps
  • Uchronie
  • Immortels
  • Fins du monde
  • Sociétés post-apos

Machines

  • Robots
  • Cerveaux électroniques et IA

Autres mondes et autres dimensions

  • 4ème dimension et les autres
  • Mondes parallèles
  • Mondes microscopiques

Homme transformé

  • Mutants
  • Clones
  • Hybrides hommes-machines

Ce qu'il faut retenir

Au tournant des années 2000 et de nouvelles inquiétudes sociales concernant la durabilité des sociétés de consumérisme, les genres S-F apocalyptique, post-apocalyptique et Climate-Fiction prennent de l’ampleur.

Simultanément, la S-F explose en termes de supports (livres, films, séries, films d’animation, jeux vidéos…). Loin d’être compartimentés, ces derniers ont de plus en plus tendance à dialoguer entre eux et à se référencer mutuellement.

Enfin, face à la domination historique des S-F américaine, britannique et française, de nouvelles S-F géographiquement marquées émergent : en Europe de l’Est, en Asie, en Afrique… Porteuses de nombreuses diversités et hybridations à venir.

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