On dit que le regard est le miroir de l’âme, entre autres parce qu’il a une signification symbolique pour l’être humain. C’est ce que nous avons vu dans l’article précédent concernant la couleur des yeux en littérature (toute biologie mise à part) : la symbolique change en fonction des lieux et des époques, mais elle peut être utilisée pour véhiculer rapidement une idée à son lectorat.
S’il est toujours intéressant de constater quel sens les êtres humains apposent à une chose donnée, il est encore plus intéressant de se demander quelles sont les véritables causes de son existence. Car si la symbolique, qui est un véhicule de sens subjectif, n’a pas de valeur en dehors d’un contexte culturel donné, le réel est au contraire objectif et immuable en tout contexte.
Au lieu de chercher le sens symbolique de la couleur du regard humain, je vais ici me pencher sur les causes réelles et biologiques de sa pigmentation.
À propos
Cet article explorant les causes biologiques de la couleur des yeux est produit avec l’aimable participation de L.A. Morgane. Il s’inscrit dans une série d’articles accompagnant la sortie de sa nouvelle En plein cœur aux éditions du Transimaginaires le 21 juin prochain !
Lorsque Khaleel découvre que son serviteur dissimule sous ses voiles plus que de bons conseils, il doit choisir entre l’assurance d’une subjugation immédiate et le risque d’un long apprivoisement…
Ce récit comporte un personnage aux yeux hétérochromes… Une particularité sur laquelle vous saurez tout en lisant cet article !
L’IRIS : UN ARC-EN-CIEL DE COULEURS
Vous savez sans doute que l’œil est un globe blanc, à l’intérieur duquel on distingue un anneau coloré, l’iris, qui comporte en son centre le cercle noir de la pupille.
Mais saviez-vous que l’iris est un muscle ?
C’est en effet lui qui dilate ou rétrécit la pupille pour accommoder la vue à la quantité de lumière qu’elle reçoit, et à la distance à laquelle se trouve le sujet regardé. Quand on parle de la « couleur de l’œil », on parle en fait de la couleur de l’iris.
Cette dernière découle de sa pigmentation naturelle et de la façon dont l’iris diffuse la lumière.
La pigmentation de l’iris est déterminée par plusieurs gènes différents, mais peut évoluer dans certaines circonstances. La teinte lumineuse de l’iris peut également changer en fonction de facteurs extérieurs. La couleur de l’œil n’est donc pas aussi immuable qu’on l’imagine au premier abord…
Hérédité du regard : une couleur génétique
En 2020, on sait quels gènes produisent la pigmentation marron, bleu ou verte de l’iris, mais on ne sait pas encore expliquer comment se forment les autres couleurs. On suppose néanmoins que d’autres gènes sont concernés, notamment des gènes de régulation.
Quoi qu’il en soit, c’est la mélanine, un pigment qui détermine aussi la couleur de notre peau, de nos poils et de nos cheveux, qui donne sa teinte à l’iris.
C’est elle qui, par exemple, intervient naturellement quand on bronze, de manière à nous protéger des rayonnements ultraviolets du Soleil.
Contrairement à une idée reçue, tous les iris possèdent la même quantité de mélanine, et sont donc tous aussi vulnérables au soleil.
Cependant, la mélanine est répartie différemment dans l’iris : plus elle est près de la surface de l’iris, et plus l’œil est marron. À l’inverse, quand ce pigment reste cantonné dans l’épaisseur de l’iris, il ne se voit pas : la couleur bleue de l’œil provient alors des radiations les plus réfléchies par l’œil.
Quant aux colorations vertes ou « noisettes », elles apparaissent lorsque la mélanine est fixée entre la surface et le fond de l’iris. Les yeux verts ou ambré comportent aussi le pigment lipochrome qui, combiné à la diffusion de la lumière par Rayleigh dans le cas des yeux verts, produisent leur teinte caractéristique.
Enfin, dans le cas de l’albinisme oculaire, les yeux ne sont pas pigmentés et peuvent donc présenter ponctuellement des reflets violets ou rouges en fonction de la lumière.
Hétérochromie : les yeux vairons
La couleur de l’iris étant majoritairement due à la répartition de la mélanine, tout facteur modifiant cette concentration engendre par conséquent une hétérochromie (« différence de couleur »).
Il est donc possible pour deux yeux d’être « vairons », c’est-à-dire de couleurs différentes (heterochromia iridis, hétérochromie de l’iris), ou même de présenter des colorations différentes au sein d’un même iris (heterochromia iridum, hétérochromie dans l’iris).
Dans le cas d’un iris bicolore, la couleur peut être répartie en cercle autour de la pupille (centrale) ou en forme de part de tarte (sectorielle). C’est un terme utilisé quand un œil n’est pas d’une couleur entièrement différente de l’autre.
Un iris bicolore (hétérochromie iridum), central (à gauche) et sectoriel (à droite)
La prévalence des yeux vairons est d’environ 6 pour 1000 individus (0,6% de la population mondiale).
Elle n’est pas forcément visible sans des conditions lumineuses particulières, et peut se remarquer seulement sur des photographies en gros plan. Ce n’est pas une maladie de l’œil, et ne pose pas de problèmes visuels, bien que ses symptômes puissent être l’expression d’une condition néfaste.
Les causes des yeux vairons
L’hétérochromie oculaire est le plus souvent congénitale. Elle est parfois associée à une autre particularité physique, mais peut être également acquise suite à un traumatisme, une maladie ou une inflammation de l’œil.
De nombreux syndromes peuvent ainsi causer l’hétérochromie oculaire congénitale : le syndrome de Waardenburg, le Piebaldisme, le syndrome de Sturge-Weber, la neurofibromatose de type 1 (maladie de Recklinghausen), le syndrome de Horner, la sclérose tubéreuse (malade de Bourneville), la maladie de Hirschsprung, le syndrome de Block-Sulzberger, le syndrome de Parry-Romberg…
L’hétérochromie oculaire peut aussi être associé à une maladie ou à une condition particulière : une inflammation de l’œil, le syndrome de dispersion pigmentaire, un traumatisme, l’hétérochromie cyclique de Fuch, le syndrome de Posner-Schlossman…
L’iris peut de la sorte s’assombrir suite à la présence d’un fragment de fer, d’une poche de sang à long terme, d’une tumeur (bénigne ou maligne), de kystes ou d’abcès, et suite à l’utilisation de certaines substances, telles que des gouttes pour les yeux contenant un analogue de la prostaglandine et traitant certains glaucomes ou devant stimuler la pousse des cils.
Des yeux qui changent de couleur
Il est de notoriété publique que la couleur des yeux évolue avec le temps.
De nombreux bébés européens naissent notamment avec des yeux bleu foncé, qui s’assombrissent jusqu’à leur troisième année. Si les nouveau-nés ont souvent les yeux clairs, c’est parce que le pigment ne migre pas immédiatement du fond de l’œil vers la surface.
Cet éclaircissement se produit aussi chez 10 à 15% des adultes des populations aux yeux clairs (caucasiennes), dont les iris peuvent s’éclaircir ou foncer avec le temps.
Les personnes âgées peuvent également présenter un anneau bleu clair autour de l’iris. Ce n’est cependant pas dû à un changement de couleur de l’iris, mais à la cornée qui se voile avec l’âge.
Des yeux clairs à tous les âges de la vie
Il est de même assez connu que le regard peut changer de couleur en fonction de la luminosité.
C’est dû à la double couche d’iris présente dans l’œil : la couleur dépend alors de la couche qui capte et reflète la lumière.
Par contre, on oublie parfois que la couleur de l’œil peut changer en fonction de facteurs extérieurs.
Certaines conditions (cicatrices de la cornée, arcus senilis, maladie de Wilson) peuvent ainsi donner l’impression que l’iris a changé de couleur. Les changements drastiques peuvent d’ailleurs annoncer un problème tel que l’iridocyclitis hétérochrome de Fuch, le syndrome d’Horner ou un glaucome.
Evidemment, un changement drastique de la couleur des yeux peut tout à fait être provoqué de manière artificielle.
Si certaines personnes utilisent des lentilles colorées pour changer de couleur d’yeux temporairement, des instituts proposent aujourd’hui d’altérer définitivement la couleur de l’iris via des opérations de chirurgie. On peut même se faire tatouer le blanc de l’œil (à ses risques et périls).
Et vous apprendrez peut-être avec surprise que le mythe de l’œil qui change de couleur en fonction des émotions n’en est en fait pas un.
En effet, quand l’iris se contracte ou se dilate, cela influe sur la capacité des pigments de l’œil à réfléchir la lumière, ce qui peut en changer légèrement la couleur. C’est pourquoi les émotions, qui influent sur la taille de l’iris, peuvent modifier la teinte des yeux.
Top des couleurs des yeux (par prévalence mondiale)
- Marron : 55% de la population
- Bleu : 8% de la population
- Noisette : 8% de la population
- Ambré : 5% de la population
- Vert : 2% de la population
- Yeux hétérochromes : 0,6% de la population
– Yeux vairons
– Iris bicolore (radial)
– Iris bicolore (segmentaire) - Reflets violets ou rouges (albinisme oculaire, en fonction de la lumière) : 0,0000045% de la population
L’IRIS ET LA PUPILLE : AU LIEU DE L’ARC-EN-CIEL, UN TROU NOIR
Vous pensiez que nous en avions fini ? Que nenni, le regard humain présente en effet d’autres caractéristiques chromatiques que la pigmentation ! Qui dit existence d’iris, implique également que cet iris puisse présenter des formes atypiques… ou carrément disparaître !
Des variations de taille
La pupille de l’œil peut notamment être dilatée (mydriase) ou rétractée (myosis) temporairement, par exemple lors d’un examen ophtalmologique.
On peut dilater la pupille essentiellement via les patches de scopolamine, un médicament antiasthmatique (ipratopium inhalé), des vasoconstricteurs nasaux, le glycopyrrolate (un médicament qui ralentit l’activité de l’estomac et des intestins) ou des herbes (herbe Jimson, la Trompette des anges ou les solanacées).
Anecdote presque amusante : à la Renaissance en Italie, certaines femmes se mettaient des gouttes de belladonne dans les yeux pour dilater leur pupille et paraître plus attirantes. Je dis « presque », car la belladonne est particulièrement toxique…
La pupille rétrécit au contraire lorsqu’elle est exposée à la pilocarpine, aux prostaglandines, aux opioïdes, à la clonidine (un anti-hypertenseur) ou aux insecticides organo-phosphatés.
Une personne peut, par ailleurs, posséder deux pupilles de taille différente.
Quand la différence de diamètre excède les trois millimètres, on appelle alors cette condition l’anisocorie. Cela peut être tout à fait bénin ou au contraire associé à des symptômes plus graves. L’anisocorie peut être entre autres due à une blessure ou maladie de l’œil (contusion, uvéïte, syndrome d’Adie, syndrome de Pourfour du Petit, glaucome…).
Certaines personnes naissent même sans iris, ou avec un iris partiel.
Cette condition rare, nommée aniridie, apparaît en général dès l’enfance et touche les deux yeux. Elle peut être associée à des troubles oculaires tel que la cataracte ou un glaucome, ou à d’autres troubles non ophtalmologiques. Dans ces cas, l’absence d’iris pour filtrer la lumière réduit l’acuité visuelle et, étant très inconfortable, peut provoquer entre autres des maux de tête.
Le numéro complémentaire pour la couleur des yeux en biologie
Mais si vous pensiez que notre monde allait se contenter de varier la taille ou la forme de l’iris… vous vous trompiez. Le monde est créatif. Il aime les défis.
Il existe donc des personnes ayant plus de deux pupilles !
Cette polycorie (du grec « plusieurs pupilles ») apparaît quand l’iris décide de faire du zèle. On l’appelle diplocorie quand l’iris ne présente « que » deux pupilles. Ces conditions peuvent affecter un seul œil ou les deux.
On différencie dans ce contexte la « vraie » polycorie, où chaque pupille possède un iris propre et fonctionnel mais une acuité visuelle réduite, et la pseudopolycorie, où les « pupilles » additionnelles sont en faits des trous dans l’iris, généralement bénins. On ignore toutefois les causes de cette affection extrêmement rare.
Exemples de polyclories
(Vraie ou pseudo ? Difficile de faire la différence avec un œil de profane)
Et plusieurs ensembles d’iris et de pupille, alors ? Après tout, tout est possible…
Ovide utilisait le terme « pupula duplex », ou « double pupille », qui a intrigué les nombreuses personnes ayant traduit ses textes. Parlait-il d’un œil ayant plusieurs pupilles, ou d’un individu aux yeux vairons ? Ou bien s’agit-il encore d’une autre affection ?
Un ministre d’état chinois, Liu Ch’ung, vivant aux alentour de 995 av. JC, aurait eu deux iris par globe oculaire. Cependant, cela n’est pas vérifié par le corps médical.
W.B. McDaniel, auteur de « The Pupula Duplex and Other Tokens of an “Evil Eye” in the Light of Ophthalmology », suggère qu’il puisse également être question de colobome oculaire, où l’œil semble coupé en deux par sa pupille, donnant l’illusion de posséder deux iris. Il en existe différents types, qui peuvent toucher un seul œil ou les deux.
Top des pupilles atypiques (prévalence mondiale)
- Anisocorie (pupilles de tailles différentes) : entre 15% et 30% de la population
- Colobome (pupille en fente) : 0,00001% de la population
- Aniridie (pas ou peu d’iris) : entre 0,000025% et 0,00001% de la population
- Polycorie (plusieurs pupilles) : tellement rare que j’ai pas le chiffre
REGARDONS-NOUS DANS LE BLANC DE L’OEIL
La fiction aime modifier la couleur du blanc de l’œil (la sclère), pour indiquer le changement d’état drastique d’un personnage. Et la symbolique rejoint ici le réel, car si le blanc vire de l’œil, cela peut être le symptôme d’un problème parfois grave !
Nous connaissons tous·tes l’œil rouge, dû à la dilation ou l’inflammation des vaisseaux sanguins dans le blanc de l’œil.
Cela peut être dû à un manque de sommeil et donc d’oxygénation de l’œil, à la consommation de vasodilatateurs tels que l’alcool, à une irritation externe (allergies, lentilles de contact…), à une maladie (conjonctivite, hémorragie, glaucome…).
Il est également de notoriété commune qu’un blanc d’œil devenu jaune peut indiquer des problèmes de foie.
Cela est dû à l’accumulation de bilirubine dans le sang, qui apparaît durant la dégradation des globules rouges en produisant un pigment jaune. Cette coloration peut notamment découler d’une hépatite, de la cirrhose, de la maladie de Gilbert ou d’une jaunisse.
On entend toutefois moins parler de la légère coloration bleue du blanc de l’œil à la suite de son inflammation (épisclèrite ou sclérite).
Un peu gênante mais généralement bénigne, cette affection guérie seule mais doit être surveillée pour éviter l’infection. La coloration bleue de la sclère peut aussi être dû à un manque de collagène, et être lié à d’autres conditions, notamment osseuses (maladie des os de verre, maladie de Capdepont, ostéopsathyrose, syndrome d’Ehlers-Danlos, la maladie de Marfan…). Cette couleur bleutée est liée à une dépigmentation de la sclère.
Il existe bien entendu d’autres variations de l’iris et de la pupille chez l’humain, mais nous nous arrêtons ici pour cet aperçu.
N’oubliez simplement pas que, pour écrire un personnage réaliste, il faut se renseigner non seulement sur les causes d’une condition mais aussi sur ses conséquences. Certaines des affections présentées sont bénignes, mais d’autres entraînent des problèmes de vue ou plus généralement de santé qu’il est très intéressant d’explorer lorsqu’on écrit un personnage, car ils affectent personnellement son rapport au monde et sa manière de faire face aux obstacles d’une intrigue.
CHALLENGE CONNAISSANCES
Si vous connaissez d’autres variations de la couleur des yeux chez l’être humain ou que vous en connaissez des utilisations dans des œuvres de fiction, faites-nous part de votre savoir dans les commentaires !
SOURCES
Eye color: How it develops and why it changes , article de Burt Dubow, OD pour All About Vision, avril 2019
Heterochromia Iridis , article de Andrew A. Dahl, MD, FACS, édité par Melissa Conrad Stöppler, MD, pour MedecineNet.com, le 27 novembre 2017
La Population Mondiale En Pourcentage De Couleur Des Yeux , sur RipleyBelieves.com
Bleus, verts ou marrons, les yeux sont tous aussi fragiles , article de Dominique Salomon et édité par Vincent Roche, pour destinationsanté.com, publié le 05/09/2018
L’hérédité de la couleur des yeux, article de Claire König, pour Futura Santé, publié le 25/01/2019, modifié le 30/01/2019
Aniridie : définition et symptômes, article de Dr. Charline D., pour Santé sur le Net
Anisocorie, article d’Agnès Bourahla-Farine, pour Passeport Santé, en décembre 2018
Polycoria, article de Diana Wells relu par le Dr Judith Marcin, publié par healthline.com, le 12 janvier 2018
Pupula Duplex : real or myth ?, publié par Waffles at Noon, publié le 3 juin 2013 mis à jour le 3 janvier 2016
6 raisons qui expliquent les yeux rouges, article d’Elena Bizzotto, publié sur Santé Magazine, le 11 novembre 2017
Couleur des yeux : ce qu’elle révèle de votre santé, article de Pauline Capmas-Delarue relu par le Dr Laurence Desjardins, publié sur Medisite.fr, mis à jour le 10/09/2019
Pathologie pupillaire, article de M. Jacob-Lebas et C. Vignal-Clermont, pour Elsevier Masson SAS 2011
Colobomes, article publié par le SNOF (Syndicat National des Ophtalmologistes de France)
Ce qu'il faut retenir
L’iris est un muscle qui dilate ou rétrécit la pupille.
C’est lui qui donne sa couleur à l’œil en fonction de la répartition de la mélanine entre ses différentes couches.
Les yeux peuvent être : marron, bleus, noisette, ambré, verts, hétérochromes (vairons ou iris bicolore) et albinos.
La couleur de l’iris et de la sclère (blanc de l’œil) peut varier en fonction de la luminosité, de l’âge, d’interventions artificielles ou d’affections variées.
La pupille elle-même peut varier en taille et être affectée par diverses transformations : aniscorie (tailles différentes entre les deux yeux), colobome (pupille fendant l’iris), aniridie (pas d’iris), polycorie (plusieurs pupilles).