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Comment créer un univers magique ? — Partie 2 : Quelles règles respecter pour créer un univers magique ?

Des sorcières hydrophobes d’Oz au monde magique d’Harry Potter invisible au commun des mortels et empli de sorts aux sonorités inoubliables, en passant par les magies plurielles et dichotomiques du Seigneur des Anneaux ou la magie toujours inquiétante des nouvelles de Lovecraft, les univers magiques sont légion dans la littérature de Fantasy et fantastique. Mais comment donc créer de tels univers magiques de manière à les rendre aussi captivants, féériques, vivants et créatifs que ceux suscités ?

Que vous souhaitiez créer un univers magique plus loufoque que l’esprit dérangé de l’Économe de l’Université Invisible sans pilules de grenouilles séchées ou plus carré que Gandalf pourvu de sa propre langue pour opérer sa magie, créer un univers magique nécessite toujours de le doter de règles. L’auteur et Youtubeur Matt Dejouy vous propose par conséquent d’analyser les règles d’écriture d’univers magique proposées par Brandon Sanderson. Dans l’espoir que ces clés de compréhension autour de la magie et de son utilisation dans un roman vous évitent de vous égarer dans ses méandres sinueux.

Cet article est le deuxième pan d’un binôme portant sur la magie en tant que ressort créatif pour créer un univers magique. Il fait suite à l’article 1, qui a retracé le parcours de la magie au fil de l’Histoire et définit les différents grands types de magies connus aujourd’hui.

Auteur et YouTubeur, Matt Dejouy vous invite à découvrir en vidéo et en exemples (de Life is Strange à Fullmetal Alchemist) les règles d’écriture d’un univers magique telles que vues par Brandon Sanderson

DE LA MAGIE DURE À LA MAGIE DOUCE

  • Des systèmes de magie dure…

On distingue dans les œuvres de fiction deux types de systèmes magiques : les durs (ou Hard Magic) et les doux/mous (ou Soft Magic). Plus qu’une opposition franche et tranchée, il s’agit en réalité d’un continuum ou d’un spectre.
Les systèmes de magie dure se caractérisent par une présence centrale de la magie.
Cette dernière se trouve au cœur de tout dans le roman et est en général dotée d’un processus d’apprentissage plus ou moins lourd de ses mécanismes. C’est le cas de nombreux mangas et séries, comme Fullmetal Alchemist (FMA pour les intimes et je sais que vous avez au moins un générique en tête déjà) ou Avatar le dernier maître de l’air.

  • …aux systèmes de magie douce…

À l’opposé, dans les systèmes de magie douce, la magie a plus un rôle d’accompagnement du récit.
Elle n’en est pas le centre et sans elle, la face de l’histoire ne serait pas entièrement changée. Life is Strange appartient à cette catégorie : la magie n’y est une brique de gameplay et elle pourrait même y être inexistante.

  • …en passant par un vaste entre-deux

Entre ces deux extrêmes s’étale une large palette d’entre-deux.
Ainsi, l’univers d’Harry Potter tire plus vers les systèmes de magie dure puisque la magie y est présente avec ses règles, mais cohabite dans l’intrigue globale avec un focus substantiel sur les personnages.

Tandis que le Seigneur des anneaux tire plus, pour sa part, vers les systèmes de magie douce, puisque l’univers magique n’est pas le but de l’intrigue, même s’il impacte beaucoup le récit. Enfin, plus ou moins au centre, on trouve des œuvres comme Coraline qui équilibrent bien les deux tendances. En effet, le monde magique y joue un rôle important et l’héroïne est amenée à interagir avec lui, mais il n’est pas la seule finalité de l’histoire.

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Le spectre des systèmes de magie dure aux systèmes de magie douce

En fin de compte, ce qu’il faut retenir avant d’aborder les règles pour créer un univers magique, c’est que :

  • plus l’on est dans un système de magie dure, plus l’ingéniosité ou l’intelligence du personnage va jouer un rôle crucial pour résoudre les problèmes, puisqu’il faut respecter les règles ;
  • plus l’on est dans un système de magie douce, moins les règles de l’univers magique auront d’impact sur l’intrigue et la narration.

LES RÈGLES DE LA MAGIE DURE POUR CRÉER UN UNIVERS MAGIQUE

  • Règle n° 1 – Respecter les règles de l’univers magique

L’habilité d’un auteur à résoudre un conflit par la magie est directement proportionnelle à la bonne compréhension de cette magie par les lecteurs.
Par exemple, si vous souhaitez confronter votre héros à un combat contre une bestiole magique, mais qu’il n’a pas les capacités de la vaincre, vous allez devoir l’amener dans un raisonnement logique avec les règles préétablies pour qu’il puisse la battre.

Il résulte de ce principe que, si un personnage outrepasse outrageusement les règles, les lecteurs auront l’impression de se prendre de violents « ta gueule c’est magique » ou « deus ex machina » dans la figure (or le lecteur aime être chouchouté et affectionne peu de se prendre des tartes par un tas de feuilles inertes).

Afin d’éviter cet écueil, une astuce efficace est de fixer des règles de magie simples.
Par exemple, dans Avatar le dernier maître de l’air, la règle est simple et restrictive : à l’exception de l’Avatar, personne ne peut maîtriser plus d’un élément. Cette contrainte magique n’empêche d’ailleurs absolument pas de développer l’univers et sa complexité. Ainsi, les maîtres de l’eau peuvent apprendre à contrôler le sang et les maîtres de la Terre peuvent apprendre à contrôler le métal (encore que, si l’on en croit Toph, elle est la seule à avoir bien compris).

  • Règle n° 2 – Les limites sont plus importantes que les pouvoirs

Cette règle a pour but de vous inciter, en tant qu’écrivain, à vérifier que les lecteurs ont compris et ne sont pas perdus dans des explications fumeuses.
Il s’agit ici d’éviter à tout prix les approximations et de « tirer sur la corde ». Pour vous assurer de la clarté des règles que vous avez utilisées pour créer votre univers magique, il est toujours pratique de le décrire à quelqu’un. Si ce n’est pas clair pour votre interlocuteur ou que vous vous emmêlez les pinceaux en expliquant, c’est vraisemblablement qu’il y a un problème quelque part !

De plus, une fois les règles fixées, il ne faut plus y toucher.
Par exemple, Michaël Moorcock dote ses univers (comme Warhammer) de magies très psychologiques dont les règles tacites fonctionnent tout le temps de la même manière. D’autant plus que, dans les systèmes de magie dure, la magie sert à l’émerveillement, à faire voyager les lecteurs avec un dépaysement total. Si les règles sont caduques, l’immersion ne peut être complète.

Enfin, un auteur d’univers magique doit prêter attention aux limites des magies.
Il y a en général une limitation à l’utilisation de la magie, soit par impact physique directement sur le personnage et son environnement, soit par un coût de type mana. Cette limite de la magie implique souvent une limitation initiale des capacités et évite aux protagonistes de tout buriner dès le début. Une telle magie nécessite également un apprentissage et un système progressif de gain de niveaux.

Attention, doter votre magie d’un coût et d’une limite physique, c’est peut-être un peu trop.

  • Règle n° 3 – Ne pas ajouter d’éléments tant qu’on n’a pas exploité les précédents

Le risque est ici de ne pas s’approprier correctement ces éléments ou de ne pas les pousser au maximum de leur potentiel. Sans parler de la perte possible des lecteurs qui auraient beaucoup trop de notions à appréhender d’un coup.

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Dans Avatar, les règles sont simples, mais n'empêchent pas la complexité de la magie et de l'intrigue

LES RÈGLES DE LA MAGIE DOUCE POUR CRÉER UN UNIVERS MAGIQUE

Les systèmes de magie douce englobent donc toutes les histoires où l’on ne comprend pas la magie. Celles où le personnage ne cherche pas nécessairement à la déchiffrer, à l’apprendre ou à la contrôler ; voire y est soumis.

  • De l’art de compliquer la vie de ses personnages

L’utilité de ces systèmes est de placer les protagonistes dans des situations compliquées où les personnages sont dans l’incapacité de maîtriser les règles. Même s’ils peuvent les analyser et les comprendre, comme dans le cas de récits incluant des spectres.

Ces caractéristiques des systèmes de magie douce permettent d’intégrer de l’instabilité et de mettre l’accent sur les réactions psychologiques des personnages. En conséquence, quand un élément déclenche de la magie, une réaction doit se produire pour que les lecteurs puissent la voir.

Et, une fois encore, l’apparition de la magie ne peut être aléatoire et doit répondre à des règles cohérentes.
Par exemple, dans les ouvrages de Terry Pratchett, les événements magiques sont toujours perchés et pourtant toujours extrêmement logiques. La logique de la magie est ainsi l’élément qui garantit la consistance d’ensemble de l’univers et il n’est pas possible de tricher ou de tirailler les règles selon ses envies.

  • Savoir varier les points de vue

Enfin, ce qui est très intéressant pour un.e écrivain.e, c’est la possibilité de mixer les systèmes, surtout si l’on part du point de vue des personnages.
Ainsi, selon la connaissance que les protagonistes ont de leur univers, il est devient possible :

  • d’aborder de façon différenciée une grande diversité d’éléments de l’intrigue
  • de procéder à une diffusion d’informations par le biais des personnages selon l’utilité pour le scénario

Cela serait par exemple le cas du Seigneur des Anneaux si le point de vue alternait entre Frodon (système de magie douce) et Gandalf (système de magie dure).

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Terry Pratchett dote son Disque-Monde d'une magie farfelue, mais rigoureuse

Quoi qu’il en soit, il faut nécessairement envisager des règles pour créer un univers magique ! Car c’est son agencement, qu’il soit rattaché à un système de magie dure ou de magie douce, qui définit une partie plus ou moins importante, non seulement de l’intrigue, mais également des relations entre les personnages.

Ce qui implique de se poser un certain nombre de questions complémentaires, qui étendent la notion de cohérence magique dans un univers magique au-delà de la simple logique magique.

COMMENT METTRE EN PLACE SON SYSTÈME DE MAGIE ?

  • À quel niveau situer son histoire ?

Pour l’écriture d’un univers magique à l’échelle d’un pays ou d’un continent, le récit intègrera nécessairement des notions de politique, de langues, de climat, de géographie
Une des questions cruciales à ce niveau est le rapport des différents peuples avec la magie. En effet, s’ils n’y ont pas tous accès ou qu’ils utilisent des magies différentes, la magie aura un impact sur les conflits et les différences de pouvoirs.

Pour une écriture au niveau d’une ville, d’un quartier, d’une rue ou de toute zone un peu étendue avec plusieurs foyers, la même question se pose concernant l’impact politique de la répartition de la magie et les tensions entre protagonistes qu’elle peut générer.
De plus, si la magie est cachée à cette échelle, il convient d’expliquer pourquoi et comment cela impacte ceux qui se dissimulent. L’exemple d’Harry Potter est incontournable, avec ses sorciers et une ville magique masqués et en même temps rattachés au monde des moldus dépourvus d’affinités avec la sorcellerie.

Au niveau d’une famille ou d’un individu (seul contre tous), la question principale est de savoir comment ses pouvoirs magiques impactent le personnage. Par exemple, quelles sont ses conséquences sur sa solitude, sa psychologie, sa recherche d’autres personnes semblables… ou non.

Ce qui est certain, c’est que l’angle selon lequel la magie est abordée influence le traitement des thèmes.

  • Logique magique et logique humaine

Si la magie impacte la manière dont les actions se déroulent, elle doit avoir également en toute logique un effet sur la psychologie humaine (ou autre selon l’espèce de vos personnages).
Ainsi, en cas de conflit dans lequel la magie émergerait, il serait très humain de vouloir la contrôler. Et, en fin de compte, c’est peut-être bien cette relation entre la magie et la psychologie qui crée des histoires et fait tout le sel de ces interactions.

On peut notamment prendre l’exemple de la petite Charlie du roman éponyme de Stephen King qui a imprimé dans son enfance que son pouvoir de pyrokinésie est mauvais, car elle se fait gronder par sa mère (certes après lui avoir mis le feu). Cette perception qu’elle a de sa magie devient ensuite un blogage psychologie qui sert de ressort fréquent dans le reste du livre.

Dans tous les cas, soyez prudent, même sans psychologie incorporée dedans, la magie a tendance à être dangereusement explosive !

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La magie a façonné la Terre du Milieu et elle continue d'influencer les relations entre les différents peuples

Pour mémoire et pour résumer, il y a deux façons évidentes de savoir si votre si système magique fonctionne :

  • En parler à quelqu’un d’autre (oui, être écrivain implique de se sociabiliser)
  • Savoir répondre en 1 ou 2 phrases simples à la question « pourquoi ce système est-il là ? »

Ce qu'il faut retenir

Il existe deux types de systèmes magiques qui nécessitent des règles pour créer des univers magiques cohérents :

  • les systèmes de magie dure
  • les systèmes de magie douce
  • et un large spectre des possibles entre les deux

Les règles de magie dure :

  • Ne perdez pas vos lecteurs et fixez des règles de magie simples
  • Les limites de la magie (physiques ou coût mana) sont plus importantes que les pouvoirs
  • N’ajoutez pas de nouveaux éléments sans avoir exploité les précédents

Les règles de magie douce pour placer vos protagonistes dans des situations compliquées :

  • L’apparition de magie doit répondre à des règles cohérentes
  • Réfléchissez bien aux impacts politiques et psychologiques de la magie selon l’échelle de votre écriture (continent, pays, quartier, rue, famille, individu)

Pour savoir si votre univers magique tient la route :
– parlez-en à quelqu’un d’autre (oui, être écrivain implique de se sociabiliser)
– sachez répondre à la question « pourquoi ce système est-il là ? »

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